Michel Côté (1950-2023) | Béni des dieux, aimé des mortels

30 May 2023

Dans les salons funéraires, il y a toujours un cahier où l’on peut écrire ses hommages au défunt. De nos jours, nous avons les réseaux sociaux pour exprimer notre chagrin et notre admiration envers des personnalités qui nous quittent, l’un des rares moments où c’est la douceur qui domine l’éclipse médiatique. Chaque fois, je trouve émouvant de mesurer la perte d’un artiste par ces messages qui défilent.

Publié à 0h54 Mis à jour à 7h04

Leur disparition nous touche sincèrement pour la simple raison qu’ils ont vraiment fait partie de nos vies, même si on ne les a jamais rencontrés. La semaine dernière, c’était Tina Turner, et maintenant, Michel Côté. Deux destins complètement différents, bien sûr, mais une même affection profonde du public, et des carrières qui ont traversé les décennies en faisant le pont entre les générations.

J’ai découvert Michel Côté en clochard albinos dans Au clair de la lune d’André Forcier, puis sa carrière n’a eu par la suite que des succès que des tonnes de comédiens ont dû lui envier. Broue est un record inégalé dans l’histoire du théâtre populaire au Québec ; Cruising Bar, dans lequel il jouait plusieurs personnages mémorables comme un homme-orchestre, a été l’un des plus gros succès du box-office pendant une période où le cinéma québécois en arrachait en salle ; avec Omertà, certainement l’une des meilleures séries télévisées québécoises, il a prouvé son registre dramatique dans la peau de Pierre Gauthier, avant d’atteindre un sommet dans l’inoubliable rôle du père du C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée. Sans que cela l’empêche, bien au contraire, de revenir à la comédie avec De père en flic (deux fois).

PHOTO FOURNIE PAR TVA FILMS

Scène du film C.R.A.Z.Y. avec Michel Côté

Les rôles de père ont d’ailleurs jalonné la carrière de Michel Côté, comme s’il avait réussi, de Broue à C.R.A.Z.Y. en passant par De père en flic, à créer ce père générique universel, mais profondément québécois, bon et un peu borné, que des milliers de gens dans le public reconnaissaient comme si c’était le leur. Si mon père avait appris que mon frère était gai, il aurait peut-être réagi comme Michel Côté dans C.R.A.Z.Y., et je pense que c’est pour ça que ce film a fait le tour du monde.

Avant la mort de Michel, il y a eu celle de Tina, la semaine dernière. Pourquoi sa mort m’a-t-elle bouleversée comme ça ? Parce qu’elle a fait partie de ma vie. J’ai découvert cette femme hors du commun quand j’étais enfant, alors qu’elle était en pleine renaissance. Tina Turner a d’abord été pour moi une « madame » qui chantait What’s Love Got to Do with It. Et Michel Côté, le gars qui jouait dans Broue.

J’ai fini par comprendre que Tina Turner faisait alors son grand retour après ses difficiles années de relation toxique et violente avec Ike Turner, à plus de 40 ans, dans une industrie sans pitié pour l’âge. Elle est pourtant devenue une icône des années 1980 comme elle l’avait été dans les années 1960 et 1970, et quand on découvrait son parcours, on n’éprouvait rien d’autre que du respect. Assez pour que je puisse croire que Tina Turner était éternelle et qu’elle n’allait pas partir avant ses 100 ans au moins !

Dans le cas de Michel Côté, j’ai l’impression qu’il a toujours été dans le paysage depuis que je vois des films, sans une seule fois avoir perdu la flamme du métier et l’amour du public. Et lui aussi, je le croyais éternel.

Au cinéma, à la télé et sur scène, le nom de Michel Côté semblait une garantie de réussite, parce que le public aimait ce comédien, mais aussi cet homme hypersensible que j’ai toujours trouvé sympathique et humble en entrevue. Impossible d’oublier son émotion quand il a appris la mort de Jean-Marc Vallée, peu de temps avant qu’il se retire de la vie publique en raison de sa maladie que je refusais de croire incurable.

On aurait dit qu’il n’était pas conscient de faire partie de la catégorie triple A du vedettariat québécois, et il enchaînait les contrats sans aucun snobisme, si bien qu’il a participé aux projets les plus populaires des dernières décennies. Qui n’aimait pas Michel Côté, qui nous a fait autant rire que pleurer ?

Aucun artiste ne peut durer comme ça sans un amour profond du métier et des gens, sans un respect pour les collègues et les artisans, et certainement pas sans cette humilité qui permet de se dépasser tout le temps. Voilà pourquoi on ne cessera jamais d’écouter Tina Turner et on reverra toujours les films de Michel Côté avec bonheur. Ce qui fait de la peine est qu’on aurait aimé en prendre encore plus, parce qu’il est des êtres dont on ne se lasse pas. Bénis des dieux, aimés des mortels, reconnaissants envers la vie même quand elle ne fait pas de cadeau, on ne veut pas qu’ils prennent leur retraite, encore moins qu’ils partent en nous laissant inconsolables.

C’est la marque des grands de nous manquer autant.

Read more
Similar news
This week's most popular news