«Pub Royal»: Le rideau tombe d'émouvante manière sur Les ...

10 days ago
Les Cowboys Fringants

Disparu le 15 novembre 2023, Karl Tremblay chante de son dernier souffle sur la moitié des chansons de Pub Royal, le douzième et ultime album original des Cowboys Fringants, dans lequel le récit fictif, mis en scène dans la comédie musicale du même nom, s’entremêle à la dure réalité. Impossible de départager les deux : le personnage du « vieux rockeur » Johnny Flash et le vrai Karl ; celui de la serveuse Loulou Lapierre de Marie-Annick Lépine, qui s’illustre avec une autorité inouïe sur l’album du groupe qu’elle a cofondé avec Jérôme Dupras, Jean-François Pauzé et son défunt conjoint.

Tout sur cet album nous ramène au regretté Karl, en commençant par les cuivres et le vieux piano droit servant l’introduction instrumentale (Des espoirs de cause) qui évoquent les jazz funerals louisianaises. La fanfare de cuivres nous souhaite ensuite Bienvenue chez nous, composée pour la comédie musicale ; Tremblay et Lépine chantent cette « zone démilitarisée entre la vie et la mort » à tour de rôle sur un rythme trompeusement enjoué évoquant à la fois l’ambiance des cabarets jazz, l’explosivité des ensembles tziganes et le souvenir des albums des Colocs.

La guitare acoustique, couleur dominante de l’oeuvre de Cowboys, reprend ses droits sur la magnifique Loulous vs Loulou, rappelant combien Pauzé est un mélodiste inspiré. Marie-Annick Lépine s’affirme, son chum Karl vient lui répondre, nous donnant un premier coup de poing au ventre, soulagé par l’humour de taverne du texte de Y’est 3 heures on ferme ! qui vient après — toute chantée par Tremblay, sauf pour la réplique de la matrone Lépine : « Sorry boys, y’est 3 h, on ferme ! ».

La face A se termine avec la chanson qui suscitera le plus de réactions de la part des fans, écrite (comme Bienvenue chez nous et Loulous vs Loulou) pour la comédie musicale. Intense ballade rock sonnant comme si on avait greffé Ordinaire de Charlebois à While my Guitar Gently Weeps de George Harrison, elle s’étire sur plus de sept minutes ; interprétée par Karl Tremblay, La fin du show sera écoutée comme une forme de testament. Une brutale réflexion sur la vie qui mène à la mort et la mort qui ne mène à rien (« Chaque vie finit d’la même manière / C’est la seule justice sur la Terre / Tous égaux dans le cimetière »). Un texte qui sort de la bouche de Johnny, mais chanté par Karl, qu’on n’imaginerait ensuite jamais écrire au je une strophe comme : « J’veux pas d’votre pitié ni rien d’autre / Ma vie fut ben plus cool qu’la vôtre ».

La face B s’ouvre sur une autre instrumentale (On fait quoi maintenant ?), suivie de la plus étonnante chanson de cet album qui sonne comme aucune autre de la discographie du groupe : chantée par Karl, l’impeccable Questions sans réponses, futur succès radio, a un je-ne-sais-quoi de pop-punk qui nous rappelle le son de Violent Femmes. Elle est aussi, sur le plan esthétique, à l’image de l’ensemble de Pub Royal, un album — coréalisé par Daniel Lacoste et Gus Van Go, aux commandes du précédent Les Antipodes (2019) — sur lequel d’audacieuses décisions d’arrangement poussent le son des Cowboys ailleurs, sans toutefois être en rupture avec son essence.

Les cuivres ont une nouvelle personnalité, moins accessoire que sur les précédents albums ; le violon de Marie-Annick, ingrédient essentiel du son des Cowboys, est moins présent, n’apparaissant d’abord que sur la quatrième chanson (Y’est 3 heures on ferme !), même qu’on lui préfère le son du mélodica pour faire contrepoint à la mélodie de Questions sans réponses. Un peu partout, le ton des guitares est plus féroce, plus électrique.

Même en utilisant avec parcimonie son violon, Marie-Annick Lépine brille plus que jamais sur Pub Royal. En fin d’album, elle livre l’une de ses propres compositions, sur un air de ballade country rétro assortie d’une guitare twang totalement inédite dans le répertoire du groupe. Vraisemblablement composé après le départ de son mari, le texte de Les cheveux blancs s’adresse aux jeunes filles du couple : « Vous allez voir mes puces / Que la vie est souvent injuste, souvent injuste / Surtout pour ceux qui partent avant / Avant les cheveux blancs », chante-t-elle d’une voix empreinte de douceur et de résignation qui ne peut faire autrement que nous tirer les larmes. Là où La fin du show pèche par excès, dans la durée comme dans le texte un brin empesé, l’élégante et fragile Les cheveux blancs touche droit au coeur.

Et quelle finale que Merci ben ! Du Cowboys Fringants pur jus, rappel, dans le son et le rythme, des années formatrices de débuts du groupe, chantée en duo par Lépine et Jean-François Pauzé — n’eût été du texte en forme de bilan de carrière, la chanson aurait pu apparaître sur Motel Capri (2000) ou Break syndical (2002). Il faut applaudir les Cowboys pour ne pas avoir succombé à la nostalgie en offrant un album qui détonne du son classique forgé au tournant du millénaire.

Pub Royal boucle la boucle en faisant des clins d’oeil à la grande histoire des Cowboys Fringants — le titre de l’album réfère à une chanson de l’album Octobre (2015), on retrouve le personnage de Gina Pinard rencontré sur le premier album 12 grandes chansons (1997), et dans le texte de Merci ben !, comme dans celui de La fin du show, sont ressassées de glorieux (et moins glorieux) moments d’excès et d’extase.

Ceux que ces musiciens ont vécus, et qu’ils nous ont fait vivre pour une dernière fois sur cet ultime album.

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