Les Cowboys Fringants, droit debout sur les Plaines

18 Jul 2023

« J’ai l’impression de participer à quelque chose de plus grand que moi », nous a avoué Sara Dufour vers la fin du concert qu’elle livrait devant la plus imposante foule qu’elle ait vue de toute sa carrière, soit presque 90 000 fans cordés sur les plaines d’Abraham par un exceptionnel lundi soir de prolongation du Festival d’été de Québec. L’autrice-compositrice-interprète avait parfaitement saisi l’importance de cette soirée, pour elle d’abord, invitée à réchauffer la scène avant un Robert Charlebois vigoureux et en voix, puis des Cowboys Fringants, aussi festifs que touchants, et touchés par l’accueil du public.

Les Cowboys Fringants - Figure 1
Photo Le Devoir

Soirée importante pour nous aussi, qui vivions l’inédit en 55 éditions du FEQ : un rappel, un lundi soir. Une revanche sur les intempéries, sur ce que le directeur artistique Louis Bellavance a qualifié « d’apocalypse du 13 juillet » plus tôt en journée, lors de la conférence de presse bilan, qui avait forcé l’annulation de la soirée Dufour-Charlebois-Cowboys. L’organisation a parié sur ce lundi soir et a gagné : ce fut une chaleureuse, magnifique soirée de clôture durant laquelle le public est tombé sous le charme de cette chanteuse country-rock entière et attachante, a célébré un monument de notre chanson rock, puis témoigné de toute son affection pour le plus important groupe québécois francophone des 25 dernières années.

Les Cowboys Fringants et leurs accompagnateurs sont montés sur scène avec une quinzaine de minutes de retard qu’ils nous repaieront généreusement. Lent début avec Ici bas, du dernier album Les Antipodes (2019), comme un leurre au bout d’une ligne. On a mordu, ils ont tiré ensuite avec Bye Bye Lou (d’Octobre, 2015), La Manifestation (du classique Break syndical, 2002,) et La Reine (La Grand-Messe, 2004), l’orchestre jouant à fond de train ces rythmes festifs alimentés par la mandoline diabolique de Marie-Annick Lépine, ça a détendu en un tour de vis la foule compacte.

Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne Marie-Annick Lépine et Jean-François Pauzé, lors du spectacle de lundi sur les plaines d’Abraham.

Le chanteur Karl Tremblay a remercié l’organisation « d’avoir pris la chance » de reporter cette soirée. « Je pense que vous leur avez donné raison » de l’avoir fait, a-t-il dit au public, à qui il a ensuite tendu le pied de micro pour l’aider à chanter la tendre ballade Toune d’automne, les quatre membres originaux du groupe alignés au-devant de la scène.

Peu après, les Cowboys ont joué Ti-Cul, Jérôme Dupras faisant ce qu’il sait le mieux faire en concert (après jouer de la basse), c’est-à-dire faire le pitre et prendre des bains de foule. Tremblay, qui plus tôt avait retiré sa veste pour la déposer sur le dossier d’une chaise laissée sur scène à son attention, s’y est affalé. C’était évident à la deuxième chanson, ce concert n’allait pas être de tout repos pour lui. Les vieux amis se sont informés de son état, Jean-François Pauzé suggérant même de « donner un petit break à Karl », qui ne voulait rien savoir d’aller passer cinq minutes tranquille en coulisses. On a approché la chaise à l’avant de la scène, d’où il a, avec difficulté, entonné la ballade Sur mon épaule, après avoir entendu le public scander « Karl ! Karl ! Karl ! »

Les Cowboys Fringants - Figure 2
Photo Le Devoir

« Ça fait dix ans et des poussières / Qu’on fait face au vent d’hiver / Ensemble on n’a peur de rien », a chanté Tremblay, criant de toutes ses forces le mot RIEN que 90 000 spectateurs ont reçu comme un coup de poing dans le ventre. On a cru voir Karl essuyer une larme à ce moment-là ; on est convaincus d’avoir vu tous les spectateurs autour de nous en verser une. Bouleversant moment durant lequel tous se demandaient s’il allait tenir le coup jusqu’à la fin du concert.

Peu après, avant d’entonner L’Amérique pleure, Karl Tremblay s’est adressé au public : « Le bonhomme commence à être magané un peu… Mais c’est pas grave : on va passer au travers ». Et juste comme ça, son admission a complètement transformé l’allure du concert : nous le savons tous malade, nous allions tous à ce spectacle autant pour réentendre les chansons qu’on aime que pour lui faire savoir qu’on le supporte dans cette épreuve, lui sût que nous savions, mais personne encore n’avait osé en dire un mot. Le mot fut lâché : Karl est magané. Mais il est là, avec nous, à partager ce moment.

Lui-même a semblé soulagé d’avoir dit ça. Ont suivi Droit devant, Joyeux Calvaire enchaînée dans la furieuse Awikatchikaën (du Cowboy vintage, millésime 2000, de l’album Motel Capri), Tant qu’on aura de l’amour, Karl qui avait la voix cassante en première partie du spectacle s’est tenu droit debout jusqu’à la fin, chantant avec un aplomb retrouvé. Si le cancer de la prostate se traitait avec des applaudissements, il aurait été en rémission avant le premier des deux rappels que les Cowboys Fringants ont offerts – car, malgré tout ça, le groupe a joué pendant presque 1 h 45, terminant ce concert dans la folie de ses airs gaillards comme la pissante Marine marchande (que Karl a chanté en duo avec Sara Dufour) et la bienveillance rassembleuse de Les Étoiles filantes, dernière des trois chansons offertes au rappel avec une chorale de fans que Dupras était allé cueillir au parterre.

Les Cowboys ne voulaient plus quitter la scène. « On en fait une autre ? », a suggéré Tremblay. Ce fut Un p’tit tour. Et puis s’en sont allés, sous les applaudissements d’un public touché, comblé.

Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne Robert Charlebois a été fumant, drôle, accompagné par un impeccable orchestre et son amie Louise Forestier.

On s’en voudrait de terminer ce compte rendu sans saluer le tour de chant de Dufour, parfaite dans son rôle de première partie, ni s’ébahir devant la vigueur de Robert Charlebois, qui avait adapté son spectacle Robert en CharleboisScope pour les plaines : il a été fumant, drôle, accompagné par cet impeccable orchestre et son amie Louise Forestier — « Soixante ans d’amitié ! » — qui l’a rejoint pour chanter California, Lindberg et, au rappel, La fin du monde. Quelle grande soirée ce fut !

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