Le goudron, les plumes et Mike Babcock

18 Sep 2023

C’est un peu comme si on trempait un type dans le goudron, qu’on le recouvrait de plumes, et qu’on le replongeait dans le goudron une autre fois, et qu’on le tapissait d’une autre couche de plumes avant de l’escorter hors de la ville. La fin de carrière de Mike Babcock passera à l’histoire comme l’une des plus embarrassantes de l’histoire du hockey.

Mike Babcock - Figure 1
Photo ICI.Radio-Canada.ca

Après presque quatre ans d’exil de la LNH, Mike Babcock était parvenu cet été à se faire embaucher par les Blue Jackets de Columbus. Dimanche, avant même le début du camp d’entraînement de sa nouvelle équipe, le vétéran entraîneur a été viré pour une invraisemblable histoire de violation de la vie privée de ses joueurs.

Ce que l’on sait de cette histoire jusqu’à présent, c’est que Babcock a demandé à ses joueurs de connecter leur téléphone cellulaire sur le téléviseur de son bureau afin qu’il puisse jeter un coup d’œil aux photographies qui s’y trouvaient. On était loin, semble-t-il, du classique montre-moi donc une photo de tes enfants.

L’affaire s’est avérée suffisamment malaisante pour que des joueurs en fassent part à l’ex-joueur Paul Bissonnette, qui anime le populaire balado Spittin’ Chiclets. Et les allégations des joueurs se sont avérées suffisamment troublantes pour que le nouveau directeur exécutif de l’AJLNH, Marty Walsh, et ses assistants se rendent directement à Columbus pour rencontrer leurs membres.

Dans un univers aussi peu feutré que celui du hockey professionnel, il ne s’agissait pas de démarches anodines.

La cerise sur le gâteau, c’est que les dirigeants de l’AJLNH aient jugé vendredi dernier que leurs découvertes étaient suffisamment sérieuses pour les partager directement avec les dirigeants de la LNH à New York.

Le lendemain, le goudron et les plumes! Cul par-dessus tête, Babcock a été viré dès samedi. Les Blue Jackets ont attendu à dimanche pour annoncer la nouvelle.

Comme quoi, toutes les tentatives de réhabilitation ne finissent pas toujours de la bonne manière.

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Pour la première fois de sa carrière, Babcock avait été viré par les Maple Leafs un mois après le début de la saison 2019-2020. En 2015, les Leafs avaient pourtant fait de lui l’entraîneur le mieux payé de l’histoire du hockey. Ils lui avaient alors consenti un contrat de 8 ans totalisant rien de moins que 50 millions de dollars.

Il faut vraiment aimer un entraîneur pour lui offrir un contrat aussi long et lucratif. Mais l’inverse est aussi vrai. Quand vous êtes prêt à verser 25 millions à un entraîneur pour qu’il reste chez lui, c’est parce que la matière brune a heurté le ventilateur et que vous êtes prêt à tout pour vous en débarrasser.

Mike Babcock - Figure 2
Photo ICI.Radio-Canada.ca

Au moment de son renvoi, des rumeurs d’environnement toxique flottaient dans l’entourage des Leafs.

Mike Babcock a été l'entraîneur-chef des Maple Leafs de Toronto de 2015 à 2019. À son embauche, il avait obtenu un contrat de 8 ans et 50 millions de dollars.

Photo : La Presse canadienne / Christopher Katsarov

Babcock avait été embauché en 2015 par le président de l’organisation, Brendan Shanahan. Ce dernier avait d’ailleurs joué sous ses ordres à Detroit. Mais Kyle Dubas, le jeune directeur général nommé en 2018, n’était visiblement pas un fan de l’entraîneur. Cette incompatibilité semblait d’ailleurs très réciproque.

Dans la foulée, juste après que Babcock se soit retrouvé au chômage, certains de ses anciens joueurs s’étaient mis à raconter des histoires ahurissantes à son sujet :

On disait de lui qu’il avait demandé à Mitch Marner, lors de sa saison recrue chez les Leafs, de dresser une liste de ses coéquipiers, en débutant avec le plus travaillant et en terminant avec celui qui, à son avis, fournissait le moins d’efforts. Après s’être fait remettre cette liste, Babcock avait convoqué un vétéran dans son bureau. Il lui avait révélé que Marner l’avait placé au bas de sa liste! Quelle excellente manière de favoriser l’harmonie dans le vestiaire!L’un des anciens joueurs de Babcock chez les Red Wings de Detroit, Johan Franzen, en avait rajouté une couche en racontant que l’entraîneur l’avait continuellement abusé/intimidé verbalement. « C’est un homme terrible, la pire personne que j’aie jamais rencontrée », avait-il martelé. Un ex-coéquipier de Franzen, Chris Chelios, avait tenu à confirmer publiquement ces allégations.Dans l’univers des Leafs, on avait par ailleurs noté que Babcock s’était fait un devoir de reléguer le vétéran Jason Spezza à la passerelle de presse lors du match inaugural de la saison 2019-2020. Ce soir-là, les adversaires des Leafs étaient les Sénateurs d’Ottawa, avec qui Spezza avait passé 11 saisons. Dans le monde du hockey, le plus élémentaire respect consiste à bien faire paraître un joueur lorsqu’il affronte son ancienne équipe.

Cette histoire avait fait ressortir le fait que Babcock semblait enclin à soumettre ses joueurs à ce genre de guerre psychologique. Le 3 avril 2011, alors qu’il ne restait que quatre matchs à écouler au calendrier des Red Wings, l’entraîneur avait rayé le vétéran Mike Modano de l’alignement. Et cela avait fait en sorte que, quelques jours plus tard, la brillante carrière de Modano s’était arrêtée à 1499 matchs.

Mike Babcock - Figure 3
Photo ICI.Radio-Canada.ca

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Ces histoires terribles équivalaient, ni plus ni moins, à déboulonner la statue d’un entraîneur-chef ayant mené le Canada aux conquêtes de deux médailles d’or olympiques, et ayant mené ses équipes de la LNH à trois finales de la Coupe Stanley, dont une conquête avec Detroit en 2008.

Depuis près de quatre ans, on se demandait comment un entraîneur issu du milieu universitaire avait pu adopter et privilégier de telles méthodes. Et surtout, comment de tels comportements avaient pu lui valoir de tels succès.

En juillet dernier, énormément de gens se sont donc demandé comment le directeur général des Blue Jackets, Jarmo Kekalainen, avait pu trouver qu’il s’agissait d’une bonne idée de confier sa jeune équipe à Mike Babcock.

Les lecteurs de cette chronique savent à quel point je valorise la réhabilitation des gens qui commettent des erreurs. Mais encore faut-il qu’une véritable démarche réparatrice soit faite. Lorsqu’on le questionnait sur son passé, Babcock tendait à simplement regretter que ses anciens joueurs aient perçu ses interventions négativement. Bref, il était un incompris.

Pas plus tard que la semaine dernière, Babcock racontait d’ailleurs en entrevue à quel point il avait apprécié sa retraite et ses voyages au cours des dernières années. Dans son récit, il n’y avait pas la moindre trace de remords ou d’introspection.

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La seule bonne nouvelle dans cette histoire, c’est que le poste d’entraîneur-chef des Blue Jackets a été confié à Pascal Vincent, un homme posé et respecté qui a travaillé comme un forcené pour gravir les échelons du hockey.

Pascal Vincent sera l'entraîneur-chef d'une équipe de la LNH pour la première fois sa carrière.

Photo : Getty Images / Doug Pensinger

Ce n’est pas tous les jours qu’un entraîneur québécois parvienne à diriger une équipe de la LNH sans avoir transité par l’organisation du Canadien ou sans avoir dirigé Équipe Canada Junior.

Cette nomination, qui aurait dû lui revenir d’emblée l’été dernier, survient 23 ans après que le Lavallois ait fait ses débuts en tant qu’entraîneur en chef dans la LHJMQ.

Après 11 saisons dans le hockey junior, Vincent a agi pendant cinq ans à titre d’adjoint chez les Jets de Winnipeg, puis cinq autres années dans le rôle d’entraîneur-chef du club-école des Jets. Au passage, on lui a d’ailleurs décerné un titre d’entraîneur par excellence de la LAH.

En 2021, les Blue Jackets ont ravi Pascal Vincent aux Jets en lui confiant le poste d’entraîneur associé à Brad Larsen. Que Kekalainen lui préfère Babcock cet été s’était avéré surprenant.

Mais bref, voilà enfin Vincent aux commandes de sa propre équipe. On ne peut que saluer sa ténacité et lui souhaiter du succès.

En apprenant sa nomination, j’ai repensé à un texte que j’avais écrit à son sujet il y a cinq ans. Cette chronique racontait que la plupart des hommes de hockey qui avaient été embauchés par Vincent chez le défunt Junior de Montréal avaient fini par accéder à la LNH. De tels accomplissements sont loin d’être banals au sein d’une organisation junior.

Et dans ce texte, je comparais l’arborescence de Vincent à celle de… Mike Babcock. Ça ne s’invente pas.

La dernière chose qu’on puisse trouver par le temps qui court, c’est une similitude entre ces deux entraîneurs.

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