Lettre ouverte critiquant le gouvernement | Le député Youri Chassin ...

7 days ago

(Québec) Inquiet de la « crise des services publics » et en rupture avec les orientations du gouvernement, le député caquiste Youri Chassin claque la porte du caucus de la Coalition avenir Québec (CAQ) et siégera désormais comme indépendant.

Youri Chassin - Figure 1
Photo La Presse

Publié à 6h57 Mis à jour à 10h28

Il a annoncé sa décision sans avertissement, sans informer au préalable le premier ministre François Legault. Les deux hommes se sont rencontrés mercredi soir, un entretien qui a convaincu le député de prendre la porte.

« Ce n’est pas de gaieté de cœur que je suis devant vous ce matin. Je vais vous dire que je vais désormais siéger comme indépendant et que je quitte le caucus de la CAQ », a laissé tomber le député de Saint-Jérôme en conférence de presse jeudi matin, précisant qu’il terminera son mandat et ne se joindra pas à un autre parti d’ici là.

L’ex-économiste de l’Institut économique de Montréal, un groupe de réflexion de droite, dit avoir rencontré François Legault mercredi soir pour réitérer des critiques qu’il avait exprimées lors de la réunion du caucus caquiste la semaine dernière. Mais M. Legault ne l’a pas convaincu que le gouvernement allait changer ses orientations. Le député a perdu espoir de renverser les choses.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Le premier ministre François Legault et son équipe en direction du Salon rouge pour la période de questions.

Il dénonce entre autres une orgie de dépenses qui ne donnent pas de résultats pour la population, une augmentation de la taille de l’État et un déficit budgétaire record. C’est contraire aux valeurs caquistes, a-t-il soutenu. Le gouvernement n’a plus « l’audace » du premier mandat et le Québec est en train de devenir « une république du statu quo » selon lui. Il avait « de plus en plus de difficultés à défendre » le gouvernement dans les circonstances.

« J’ai tout essayé à l’interne : dans le parti, auprès des cabinets, auprès des ministres, et hier soir [mercredi soir] auprès du premier ministre. J’ai tout essayé pour ramener l’agenda caquiste. Je n’ai pas réussi et ma conclusion, c’est qu’on arrive à la mi-mandat, on entend le tic tac, là. Si je ne peux pas regarder les électeurs dans les yeux et leur dire que le gouvernement fait actuellement les bons choix pour le Québec, il est temps que je parte. »

M. Chassin affirme que le deuxième mandat du gouvernement est « décevant » et qu’il a « tenu la ligne » du parti en votant en faveur du budget déficitaire de 11 milliards « parce qu’on allait s’atteler à faire un examen des dépenses et qu’on allait faire des choix ». Or, cela ne semble pas se concrétiser, a-t-il fait valoir.

« On va nous dire qu’il manque d’argent, qu’il manque de personnel, qu’il manque de responsables sur le terrain, qu’il manque de professionnels […], mais j’ai envie de dire : voyons donc, ça fait des années qu’on augmente les budgets, ça fait des années qu’on embauche à pleines portes, qu’on donne de meilleurs salaires », a déploré le député de Saint-Jérôme.

Il a mentionné que parmi les députés, « il y en a d’autres qui ont des insatisfactions ». Il a même dit avoir eu des « applaudissements » de collègues du caucus lorsqu’il avait exprimé ses critiques et ses inquiétudes à la réunion de Rimouski.

« Ironiquement, a-t-il ajouté, je compte pousser la CAQ à réaliser l’agenda de la CAQ, mais depuis l’autre bord de la Chambre. Le premier ministre l’a dit lui-même, il a perdu sa boussole. J’espère encore contribuer à ce sursaut salutaire qui lui permettra de retrouver sa boussole. » Il conserve sa carte de membre de la CAQ, « au cas où, on ne sait jamais ». « Je suis indépendant parce que j’ai l’impression que je vais avoir plus d’impact sur le gouvernement que d’être dans ce gouvernement. »

C’est un coup dur pour M. Legault : lors de la démission de Pierre Fitzgibbon la semaine dernière, il disait ne pas s’attendre à d’autres départs parmi ses députés. Il y a cinq mois, l’ex-whip Eric Lefebvre a aussi quitté la CAQ pour siéger comme député indépendant, en attente de porter les couleurs du Parti conservateur du Canada de Pierre Poilievre. L’an dernier, la députée caquiste Joëlle Boutin a quitté la vie politique, provoquant une élection partielle dans Jean-Talon remportée par le Parti québécois.

Youri Chassin - Figure 2
Photo La Presse
Une lettre critique

Youri Chassin a fait sa sortie médiatique jeudi matin après avoir pris la plume pour exprimer de dures critiques contre le gouvernement. Il a fait publier une lettre dans Le Journal de Montréal. C’était en soi un geste de rupture avec le gouvernement. Il n’avait pas informé François Legault de cette lettre.

Après des propos remarqués sur le parquet du Salon bleu le printemps dernier, il revient à la charge dans cette lettre avec des critiques contre son gouvernement au sujet du « plus important déficit de l’histoire du Québec, de 11 milliards de dollars ». « Nous avons appliqué la vieille recette qui consiste à jeter de l’argent sur les problèmes plutôt que de chercher à faire les choses différemment », dénonce-t-il dans la lettre, déplorant que les services publics soient « en déroute ».

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Youri Chassin conserve sa carte de membre de la CAQ, « au cas où on ne sait jamais ».

« Plutôt que d’alléger les structures et la bureaucratie, nous avons engagé à pleines portes et nous avons dépensé à des magnitudes inédites, créant plusieurs nouveaux organismes publics au passage. Malgré cela, les citoyens n’en voient pas les résultats, ni pour les places en services de garde, ni pour l’obtention d’un document officiel, ni pour le projet d’agrandissement et de modernisation de l’hôpital régional de Saint-Jérôme qui avance à pas de tortue. Ce n’est pas ça, la CAQ. »

Selon lui, « nous sommes allés au bout du modèle bureaucratique québécois ».

Il ajoute : « Avant de faire le saut comme candidat de la CAQ dans Saint-Jérôme, ma préoccupation n’était pas de savoir si j’allais être ministre. Je voulais ressentir cette réserve de courage permettant d’aller au bout des réformes que nous proposions. C’est cela qui compte vraiment, ce qui transforme le Québec en profondeur. » Au lendemain des élections, il s’était dit déçu de ne pas avoir été nommé ministre.

Le gouvernement de la CAQ n’a jamais perdu sa boussole. Ce qu’il a mis en veilleuse, c’est l’audace de mettre en œuvre nos solutions pour changer le Québec. Il faut prendre les bonnes décisions pour l’avenir du Québec : alors, retrouvons notre détermination et notre courage.

Youri Chassin dans sa lettre ouverte.

En conférence de presse, M. Chassin a rappelé qu’il n’a « jamais demandé à être ministre » lorsqu’il a fait le saut en politique. « Mais, j’ai demandé à être rassuré quant au courage qu’on allait avoir pour faire les changements nécessaires », a-t-il dit.

Au lendemain du dépôt du budget Girard ce printemps, Youri Chassin avait causé la surprise en exprimant des critiques sur le parquet du Salon bleu. « Je pense qu’il faut se mettre en garde nous-mêmes contre la possibilité de minimiser 11 milliards », avait-il affirmé. Ce déficit pour 2024-2025 est pour lui « vertigineux ». « On ne veut pas non plus agiter d’épouvantails, mais on comprend tous que 11 milliards de dollars de déficit, c’est très sérieux. »

Youri Chassin a toujours plaidé pour une réduction de la taille de l’État ; la fonction publique a plutôt grossi sous François Legault. Il travaillait aussi sur la promesse caquiste de créer deux mini-hôpitaux privés – le gouvernement a réduit l’ampleur de l’initiative en misant sur des cliniques gériatriques.

Onde de choc à Québec

L’ex-ministre et député caquiste Pierre Dufour considère que « Youri exprime un élément intéressant. Il y a certains éléments, qu’on avait dit, si on se souvient, la grosseur de l’appareil de l’État », mais contrairement à ce que la CAQ avait promis, les statistiques montrent que la taille de l’État a plutôt augmenté. « Ce sont des éléments comme ça que Youri essayait de débattre au niveau du caucus et qu’il ne sentait peut-être pas qu’il avait les appuis nécessaires pour faire changer les choses », a-t-il résumé. Il estime que le départ de M. Chassin va permettre « d’avoir des débats plus vifs au sein même du caucus », et que si la CAQ n’est pas « trop à gauche », il faudrait faire « un recentrage sur certains enjeux ». « Quand on passe des projets de loi, on additionne aussi des mesures, des actions à faire, ce qui fait aussi que des fois, on grossit les équipes un petit peu. Faut juste trouver un équilibre », a-t-il soutenu.

Le ministre des Finances, Eric Girard, a défendu son bilan à son arrivée au parlement jeudi matin, après la sortie de M. Chassin. « Oui, le déficit est plus élevé que nous aurions voulu, [mais] c’est gérable, on s’en occupe, ça va diminuer tranquillement et on va faire ça de manière responsable », a-t-il dit. « On a fait un investissement dans nos ressources humaines pour compléter les efforts qu’on fait en infrastructures, au niveau de la gouvernance et au niveau des données probantes. Tout ça prend du temps, mais j’ai entièrement confiance dans les réformes que notre gouvernement fait », a-t-il renchéri.

Lorsqu’on lui demande si la taille de l’État a explosé sous la CAQ, la présidente du Conseil du trésor Sonia LeBel est piquée au vif. En 2018, a-t-elle plaidé, les services publics étaient en mauvais état. « Il fallait qu’on mette des budgets, qu’on augmente massivement les budgets, il fallait qu’on investisse, il fallait qu’on ajoute des gens », s’est-elle défendu. Elle affirme que la « grande majorité » des nouveaux employés du secteur public sont des « enseignants, des aides à la classe, des infirmières et des préposés aux bénéficiaires », des gens qui « donnent des services directs aux citoyens ». Mme LeBel rappelle cependant que le Québec traverse « des temps difficiles », et qu’elle opère en ce moment un « examen des dépenses [pour] s’assurer que chaque dollar est optimisé et maximisé ».

Réactions des oppositions
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[C’est le] dernier épisode de ce qui commence à ressembler de plus en plus, jour après jour, à une fin de régime. Youri Chassin vient s’ajouter à une liste. […] François Legault nous a endettés comme jamais. C’est le king des déficits. Et les Québécoises et Québécois sont doublement perdants parce qu’ils n’ont pas les services.

Marc Tanguay, chef intérimaire du Parti libéral du Québec

On connaît les orientations idéologiques de M. Chassin : plus de coupes, plus de privatisations. […] [Le gouvernement] va-t-il aller vers encore plus d’austérité, pour répondre, donc, aux appels de ce député, M. Chassin, qui est, pour le moins qu’on puisse dire, un radical ? Oui.

Haroun Bouazzi, député de Québec solidaire

Il a le mérite de dénoncer, de manière très transparente, les échecs de la CAQ qui le rendent insatisfait, tout comme le reste de la population. […] Mais surtout, il insiste sur la promesse de la CAQ qui venait le chercher le plus personnellement, c’est-à-dire que François Legault s’est engagé, avec beaucoup d’intensité, à réduire la taille de la fonction publique. […] Le constat qu’on ne peut pas se fier à la parole de François Legault, elle est désormais partagée au sein de ses propres députés.

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

Avec la collaboration de Hugo-Pilon Larose et Charles Lecavalier, La Presse

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