Un débat de colistiers moins secondaire que d'ordinaire

1 Oct 2024
Tim Walz

Souvent relégué au second plan de la campagne électorale, le débat télévisé entre les deux candidats à la vice-présidence — J.D. Vance pour les républicains, Tim Walz pour les démocrates — pourrait faire exception cette année. Comment ? En attirant les regards plus que d’ordinaire, à cinq semaines du scrutin, en raison d’une course à la Maison-Blanche toujours très serrée.

Mardi soir, depuis les studios new-yorkais de CBS, les deux hommes se retrouveront sous pression, lors de ce premier et unique face-à-face des colistiers, pour convaincre les indécis et tenter de faire bouger à l’avantage de leur camp respectif les curseurs des intentions de vote. Un exercice délicat pour l’un comme pour l’autre…

Une popularité asymétrique

Le sénateur de l’Ohio, J.D. Vance, choix remarqué de Donald Trump comme colistier en juillet dernier, débarque à New York avec une petite pente à remonter. C’est que, depuis son entrée dans la course, un sentiment négatif semble se développer au sein des électeurs qui suivent sa campagne. Un récent sondage du AP-NORC Center for Public Affairs Research, réalisé auprès de 1700 électeurs entre les 12 et 16 septembre derniers, indiquait en effet que plus de la moitié d’entre eux avaient une opinion défavorable du républicain, environ 10 points de plus que deux mois plus tôt.

À l’inverse, Tim Walz, gouverneur du Minnesota, n’est perçu négativement que par trois électeurs sur 10. Il est également plus populaire chez les démocrates — 70 % le jugent favorablement — que J.D. Vance ne l’est au sein de ses propres troupes ; ce dernier induit une opinion favorable chez 60 % des républicains.

« Tim Walz pourrait arriver dans ce débat avec un avantage sur J.D. Vance », résume en entrevue Christopher Lawrence, professeur de science politique à l’Université d’État de la Géorgie centrale, joint à Macon. « Les démocrates semblent avoir été plus efficaces à dépeindre Vance comme un candidat “bizarre” et à souligner ses incohérences. Les coups portés par les républicains sur Tim Walz, [notamment sur des exagérations sur son passé militaire et sur ses activités en Chine], ont eu moins d’écho auprès du grand public. »

Le colistier trumpiste doit également composer avec une image d’opportuniste alimentée en partie par son spectaculaire retournement de veste face à Donald Trump, qu’il a considéré en 2016 comme une menace pour le pays, avant d’en faire un héros et un sauveur en 2020 et en 2024.

« C’est un menteur, un hypocrite, un imposteur », a résumé il y a quelques semaines Connie Griffis, une militante démocrate rencontrée dans le village de Middletown, en Ohio, berceau du récit de l’Amérique profonde Hillbilly Elegy, par lequel J.D. Vance a bâti sa réputation ces dernières années. « Il était contre Donald Trump jusqu’à ce qu’il voie avec lui la possibilité de devenir sénateur »… et désormais vice-président.

Des pentes glissantes

Télégénique et au style soigné, J.D. Vance se prépare à exposer une image contrastante avec celle de Tim Walz, qui aime pour sa part cultiver et exposer sa « normalité » et son expérience « ordinaire » d’entraîneur de sport amateur et de professeur de géographie dans une école publique de Mankato, au Minnesota.

Le républicain risque aussi de se faire rattraper sur le terrain des idées, particulièrement avec la question de l’avortement, sur laquelle le camp démocrate a décidé de miser fort dans la campagne actuelle, au nom de la « liberté » et du « respect des droits » des femmes.

Le sujet place les républicains en porte-à-faux, eux qui se vantent d’avoir mis fin à l’arrêt Roe v. Wade, qui protégeait depuis 1973 l’accès à cette intervention médicale, mais sans offrir depuis un message cohérent aux 67 % des Américains qui estiment que l’avortement ne devrait pas être illégal.

En août, J.D. Vance avait indiqué que Donald Trump mettrait son veto à une éventuelle décision du Congrès d’interdire l’avortement à l’échelle du pays. Lors de son débat télévisé avec Kamala Harris, l’ex-président n’a toutefois pas confirmé la chose, affirmant plutôt ne pas en avoir parlé avec son colistier. Le dernier sondage du Siena College mené pour le compte du New York Times indique qu’en matière d’avortement, 54 % des électeurs ont davantage confiance en la vice-présidente Kamala Harris, contre 39 % pour Donald Trump.

J.D. Vance s’est également aliéné une partie de l’électorat féminin, il y a quelques semaines, après la résurgence d’un commentaire formulé en 2021 face à l’agitateur médiatique Tucker Carlson sur les « femmes à chat sans enfants » — des personnes inaptes à prendre des décisions influençant la destinée des familles américaines, selon le candidat à la vice-présidence.

Le républicain risque par contre d’attaquer son adversaire sur la question de l’immigration, un terrain sur lequel la droite radicale américaine domine, y compris en exploitant des récits imaginaires et en multipliant des déclarations racistes. C’est d’ailleurs J.D. Vance qui a injecté dans l’espace public la rumeur non fondée voulant que les immigrants d’une petite ville de l’Ohio mangent les animaux domestiques de leurs voisins. La déclaration insidieuse a été reprise par Donald Trump lors du débat présidentiel du 10 septembre.

Dans les jours suivants, sur CNN, Vance a admis avoir menti, mais a ajouté que s’il devait « inventer des histoires pour que les médias américains prêtent réellement attention aux souffrances du peuple », il continuerait de le faire.

Sortir un peu plus de l’ombre

Même s’ils ont été propulsés sous les projecteurs cet été, J.D. Vance et Tim Walz restent des personnalités politiques bien plus connues dans leurs États d’origine qu’à l’échelle nationale. Et mardi soir, tout en essayant de défendre les programmes politiques de leur camp, les deux hommes vont également devoir faire la démonstration que, malgré leur rôle de second, ils ont également la compétence requise pour remplacer le ou la présidente en cas d’urgence, comme le stipule la Constitution du pays.

« C’est la tâche la plus difficile pour J.D. Vance, qui n’a pas la même expérience politique que Tim Walz pour faire valoir qu’il est prêt à assumer la présidence », dit le professeur Lawrence. Un argument pourtant nécessaire en raison de l’âge de Donald Trump, le plus âgé des candidats dans la course, et de son « déclin visible », ajoute-t-il.

L’enjeu est de taille pour les deux politiciens, même si, en fin de compte, il reste peu probable que ce débat entre les candidats à la vice-présidence change « fondamentalement la trajectoire de la course », estime Tim Lynch, professeur de science politique à l’Université de St. Thomas, au Minnesota.

« Toutefois, les écarts étant toujours très étroits entre les candidats à la présidence dans plusieurs États clés qui vont décider de l’issue du scrutin de novembre, les deux camps ne peuvent se permettre d’ignorer la moindre occasion de convaincre les électeurs », ajoute-t-il.

Ce que le débat de mardi soir va en partie leur permettre de faire.

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