Sophie Grégoire Trudeau et la pression de la bulle

En pleine pandémie, Sophie Grégoire Trudeau s’est retrouvée dans une clinique médicale d’Ottawa avec sa fille Ella-Grace.

Elles sont assises et attendent de voir un médecin quand un homme entre avec ses gros sabots et s’adresse bruyamment à la réceptionniste.

«Je suis ici à cause de mon rhume, le rhume Trudeau !», lance-t-il, furieux.

Sophie Grégoire Trudeau est fâchée. La femme du premier ministre sent son cœur battre plus vite, la chaleur grimper en elle, et se met à écouter tout ce que l’homme dit. Elle veut le confronter, mais ne le fait pas. Elle ne peut pas.

«Ça fait de la peine. C’est fâchant, parce que nous on sait d’un côté ce qu’on est en train de faire comme sacrifices pour servir la population et notre pays, dit-elle en entrevue. La population, c’est nous. Les gens pensent que le pouvoir, on regarde les gens comme si c’était différent de nous. On veut améliorer la vie de tout le monde!»

Le premier ministre du Canada Justin Trudeau et sa femme Sophie Grégoire, captés à travers un feuillage, durant la pandémie. (Patrick Woodbury/Archives Le Droit)

C’est l’une des anecdotes que Mme Grégoire Trudeau raconte dans son nouveau livre à paraitre en début de semaine et intitulé Entre nous: mieux se connaitre, mieux s’aimer.

Un livre à la fois personnel, cartésien, parsemé de trucs et astuces, puis d’entrevues avec des experts en psychologie et en neurobiologie de la personnalité, notamment. Non, ce n’est pas une biographie. Et non, ce n’est pas un récit «traditionnel».

«La population, c’est nous. Les gens pensent que le pouvoir, on regarde les gens comme si c’était différent de nous. On veut améliorer la vie de tout le monde !»

Dans le bouquin, elle mentionne brièvement sa séparation après 18 ans de mariage avec Justin Trudeau et survole rapidement sa vie dans la capitale.

Justin Trudeau, entouré de sa femme Sophie et de ses enfants Xavier, Ella-Grace et Hadrien. (Archives La Presse Canadienne)

On reconnaît néanmoins dans ses écrits la pression de la vie dans «la bulle». «Quelle bulle ?», s’exclame-t-elle en riant.

Nous sommes dans l’agora d’un immeuble à bureaux du centre-ville de la capitale, à deux coins de rue du Parlement, et physiquement au cœur de cette fameuse bulle.

Une bulle où tous les coups semblent permis. Où la pression est palpable. Où les ragots trouvent souvent plus d’échos que la vérité et les faits. Et où on a souvent l’impression que le pouvoir fait foi de tout.

Une bulle qui fâche de plus en plus de Canadiens, qui se sentent mis à l’écart par les décideurs, à commencer par Justin Trudeau.

Une bulle qui a poussé il y a deux ans des convoyeurs à occuper les rues avoisinantes de l’immeuble où nous sommes avec leur camion-remorque pour dénoncer les mesures sanitaires du gouvernement Trudeau.

Les manifestants du «Convoi de la liberté» s'opposaient au gouvernement Trudeau et à ses politiques vaccinales, notamment. (Simon Séguin-Bertrand/Archives Le Droit)

C’est une époque pas évidente, reconnait Mme Grégoire Trudeau. La politique «a beaucoup changé» depuis une décennie, note-t-elle.

C’est plus polarisé. Élever des jeunes familles en politique est sans doute plus compliqué qu’avant. D’être suivi, d’être «bafoué dans peu importe ce qu’on fait dans notre quotidien» provoquent un stress immense.

Les menaces sont constantes. La sécurité omniprésente. Dans son livre, elle raconte ne pas avoir pu, avec ses enfants, rejoindre son mari dans un rassemblement en raison de menaces crédibles.

Puis, quand un matin, elle s’est levée pour constater qu’un intrus avait laissé une note sur le comptoir de la cuisine lorsqu’elle dormait. Des couteaux entouraient le message.

«À plusieurs reprises, des manifestants ont tenté de blesser Justin alors qu’on marchait en famille, lors d’événements publics», raconte-t-elle dans son livre.

Enfin, ses enfants ont dû voir des affiches représentant leur père sur une potence devant un bourreau et d’innombrables affiches et autocollants «F*ck Trudeau».

«J’ai réalisé avec tous les rôles que j’ai eu, les relations, les opportunités de vie uniques, que je ne pouvais pas garder ça pour moi. Ça sert à quoi ? Je veux le partager pour que ça puisse servir aux autres», explique Sophie Grégoire Trudeau. (Etienne Ranger/Le Droit)

«C’est fascinant de voir à quel point la famille doit s’accommoder et s’adapter à cette vie-là», confie-t-elle en entrevue.

Dans son livre, elle raconte à quel point il est «difficile d’accepter que les menaces, les insultes fassent partie de notre vie quotidienne». Elle parle d’un «état d’alerte permanent». D’où le stress chronique.

Nous lui demandons si elle n’a pas déjà eu envie de plaquer la vie d’Ottawa et de s’installer à Montréal, là où elle était établie avant son arrivée dans la bulle.

«Bien non !, s’exclame-t-elle, visiblement surprise. Je suis une mère de trois enfants. J’ai un père de famille engagé. On est uni par l’amour encore. Ce n’est pas parce qu’une relation est restructurée qu’elle est abandonnée.»

«Je pense que de faire face à des obstacles, à des gros événements, à des événements remplis d’émotions, remplis de présence et d'apprentissages, bien si on décide de s’asseoir avec, regarder la vérité de plein fouet, même si elle ne nous va pas et si ça fait mal par moment, j’espère en sortir grandie», explique Mme Grégoire Trudeau. (Etienne Ranger/Le Droit)

Mais la pression ottavienne ? La loupe ? Les reportages sur sa nouvelle idylle ? Les photos de paparazzi ?

«La vie que je vis n’est pas le reflet de ce que vous pouvez lire dans les journaux à Ottawa. Ma vie, c’est à la maison avec mes trois enfants. C’est quand je vais travailler, que je suis en contact avec du monde comme toi. Ce n’est pas ce que tu lis», dit-elle.

Aujourd’hui, la vie de Sophie Grégoire Trudeau est particulièrement occupée. Après une vingtaine de minutes en notre compagnie, elle filait à vive allure pour aller faire une entrevue à CBC. Elle avait alors fait une vingtaine d’entrevues. Puis, elle travaillera dans les prochains mois sur un deuxième livre, cette fois pour enfants.