Chaos au Parlement sur l'identité faussement autochtone d'un ministre
Le président de la Chambre des communes a eu tout le mal du monde à empêcher des députés conservateurs de traiter de corrompu, de fraudeur et de menteur le ministre fédéral des Langues officielles, Randy Boissonnault, mardi. Il a finalement exclu des débats trois d’entre eux.
« Je peux retirer mon commentaire qui disait qu’il est fraudeur et qu’il est corrompu. À la place, je dirai qu’il a fait de la fraude et de la corruption. Est-ce que ça fonctionne, ça ? » a lancé le député québécois Pierre Paul-Hus, lors de la période de questions.
Il était loin d’être le seul dans ses rangs à défier l’autorité d’un président des Communes dépassé par les nombreuses insultes et autres entraves au règlement, mardi. Greg Fergus a notamment été nargué par l’un de ses prédécesseurs, le député Andrew Scheer qui, lui, lisait sur son cellulaire une liste de synonymes. « Je retire le mot faux [fake] et le remplace par imposture, imitation, contrefaçon », a-t-il clamé, provoquant l’hilarité de ses collègues.
Le président Fergus a passé une bonne partie de la période de questions debout, avec un air alternant entre l’irritation et la résignation. Il a tenté sans succès de remettre de l’ordre dans un Parlement qui entendait le ministre des Langues officielles, Randy Boissonnault, se faire accuser d’avoir prétendu être autochtone et d’avoir caché son implication auprès de son ancienne compagnie d’équipements de protection médicale.
« J’invite l’honorable député à trouver une autre façon de poser sa question », s’est plaint M. Fergus au député Luc Berthold, qui s’est immédiatement moqué de la remontrance en précisant qu’il demande le renvoi de « tous les Randys » d’un seul coup en congédiant son « ministre imposteur des Langues officielles ».
« Vous me mettez dans une situation très fâcheuse », s’est désolé Greg Fergus. Le président a finalement sévi contre trois députés conservateurs, à la toute fin de la période de questions, après une minute de silence pour l’Ukraine. Michelle Rempel Garner, Michael Barrett et Rick Perkins ont été exclus des débats du reste de la journée de mardi, puisqu’ils ont refusé de retirer leurs paroles. Les règlements du Parlement interdisent les insultes entre collègues ou de faire référence directement à un député par son nom.
Démission demandéeMinistre de l’Emploi, du Développement de la main-d’oeuvre et des Langues officielles depuis 2023, le Franco-Albertain Randy Boissonnault n’arrive pas à se dépêtrer d’un scandale aux multiples facettes qui tire son origine de messages envoyés par un ancien partenaire d’affaires qui planifiait une réunion avec un « partenaire » nommé « Randy ».
Ces derniers mois, les conservateurs ont tenté avec ironie de démontrer que Boissonnault est cet « autre Randy », et multiplient les moqueries à son sujet. Le principal intéressé, présent mardi, a tenté tant bien que mal de se défendre des nombreuses allégations visant son ancienne entreprise et ses revendications passées d’une identité autochtone.
Récemment, une autre nouvelle tuile est tombée sur le ministre Boissonnault lorsqu’il a été révélé que son ancienne entreprise, Global Health Import, se présentait comme une entreprise autochtone. Il a été forcé de clarifier sur les réseaux sociaux qu’il n’est en fait pas autochtone, mais qu’il a été adopté par une famille d’ascendance Métis, ce qui l’a conduit à participer au caucus autochtone au sein du Parti libéral.
Le ministre s’est plutôt présenté comme « Cri adopté » lors de discours devant la Chambre des communes, en 2016 et en 2018, montre le registre des déclarations.
Cela a choqué, mardi, le député du Nouveau Parti démocratique (NPD) Blake Desjarlais, lui-même autochtone et également député de la ville d’Edmonton. « Un ministre de notre pays […] continue de montrer ce malheureux abus du système d’approvisionnement autochtone. […] Randy Boissonnault doit démissionner ! Et sinon, ça incombe au premier ministre de mettre quelqu’un comme ça dehors. »
Paralysie à long termeLe Devoir a aussi révélé que M. Boissonnault s’est présenté comme « journaliste » lors des élections de 2015 et de 2019, bien qu’il n’ait jamais signé d’articles journalistiques. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec a qualifié sa prétention de « moralement discutable ».
Le premier ministre, Justin Trudeau, a pris sa défense à partir du Brésil, où il participait au G20 mardi. « M. Boissonnault a répondu à ces questions, et va continuer à le faire. Entre-temps, je suis heureux qu’il continue de mener les dossiers de l’Emploi, et représente l’Alberta dans notre gouvernement. »
Le ministre Boissonnault et son ancienne entreprise sont visés par une question de privilège, qui pourrait elle aussi paralyser la Chambre des communes pour un temps. Les travaux sont toutefois déjà perturbés par une première question de privilège dans un dossier que les conservateurs surnomment le « fonds vert de gadoue » (« green slush fund »).
L’opposition officielle a annoncé mardi qu’elle poursuivra ce blocage, en cours depuis la fin septembre, jusqu’à la réception de documents au sujet d’un fond vert tombé en disgrâce, Technologies du développement durable Canada. Le gouvernement a plutôt fait parvenir des documents caviardés, ou avec des pages manquantes.