Sophie Beaudry refuse de regarder le film Polytechnique de Denis Villeneuve. Pas avant un bout, du moins. « Je ne veux pas le voir tant que je suis à l’école », annonce-t-elle, d’un ton décidé.
L’étudiante en génie biomédical se souvient de la première fois qu’elle a vu les portraits des 14 victimes de la tuerie, exposés à chaque anniversaire sur le campus de Polytechnique.
« Je pleurais tous les jours quand je passais devant », raconte la jeune femme.
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Une exposition rend hommage aux victimes de Polytechnique sur le campus de l’université. Les photos des 14 femmes assassinées sont exposées à côté de celles de membres de l’université.
Cette année, elle a accepté de participer à l’exposition, posant devant la caméra avec le nom de Maryse Leclair, assassinée dans un attentat qui a marqué à jamais la société québécoise.
Mais voir un film qui fait le récit de la journée du 6 décembre 1989 ? C’est trop. Trop sensible, trop près d’elle.
Je ne veux pas voir des filles de mon âge mourir parce qu’elles font ce que je fais tous les jours.
Sophie Beaudry, étudiante en génie biomédical à Polytechnique Montréal
La Presse s’est récemment rendue sur le campus de Polytechnique pour savoir ce que les étudiants actuels connaissent de la tuerie, survenue bien avant leur naissance.
L’expérience n’a rien de scientifique, mais dit quand même quelque chose : tous les étudiants interrogés étaient au courant de ce qui s’est passé entre les murs de l’université. Même les étudiants étrangers, certains à peine arrivés au pays.
Et 35 ans plus tard, force est de constater que le traumatisme est encore vif – même pour ceux qui ne l’ont pas vécu.
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Marc Aurèle, étudiant en génie chimique à Polytechnique Montréal
« C’est tragique, ce qui s’est passé », lâche Marc Aurèle, étudiant en génie chimique. Dirait-il que les jeunes y sont encore sensibilisés ? Oui, dit-il. Et il le faut.
« C’est important qu’on sache ce qui s’est passé pour éviter que ça se reproduise », souligne le jeune homme.
Une vigilance toujours de miseEt difficile de ne pas le savoir. Sur le campus, les rappels de la tragédie sont nombreux. Comme ce présentoir à l’entrée de la bibliothèque mettant à la disposition des étudiants des rubans blancs, en hommage aux victimes.
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Un présentoir à l’entrée de la bibliothèque de Polytechnique met à la disposition des étudiants des rubans blancs, en hommage aux victimes.
Plus le temps passe, plus le devoir de mémoire est important, estime Enora Dorléans, qui étudie en génie mécanique.
« Au bout d’un certain nombre de générations, [le souvenir du massacre] n’a plus le même impact », remarque la vice-présidente de Poly-Fi, un comité étudiant visant à faire la promotion des femmes en ingénierie.
Même si les choses se sont améliorées depuis 35 ans, certains mythes ne disparaissent jamais complètement, déplore-t-elle. Et l’impression que les femmes prennent la place des hommes est tenace.
J’ai déjà entendu des gars qui râlaient que toutes leurs amies avaient des stages, mais pas eux. Ils disaient “j’aurais dû être une fille”, des choses comme ça. Ce n’est pas tout le monde, mais je l’entends.
Enora Dorléans, étudiante en génie mécanique à Polytechnique Montréal
Certains étudiants ont aussi cité le climat social actuel pour souligner l’importance de continuer de parler de la tuerie, même après toutes ces années.
« Il y a un mouvement d’hommes alpha qui parlent très fort. Je pense que ça reste une minorité, mais si la majorité ne parle pas, c’est la minorité qu’on entend plus », déplore Sophie Beaudry.
« J’étais choqué »Sac sur le dos, Émile Villette était penché sur la biographie d’une victime de l’attentat exposée dans le couloir liant les deux principaux pavillons de l’université.
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L’exposition rendant hommage aux victimes de Polytechnique
L’étudiant belge en échange universitaire ne connaissait pas l’histoire de la tuerie avant d’arriver ici. C’est sa colocataire qui la lui a apprise, quand il lui a mentionné où il étudiait.
« J’étais choqué », témoigne-t-il. Depuis, Polytechnique a parcouru beaucoup de chemin en matière d’égalité, remarque-t-il. Pas mal plus que son université en Belgique, du moins.
« Il y a beaucoup plus de femmes ici. On en retrouve dans tous les génies. C’est cool », souligne-t-il.
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Hiba Jlil, étudiante en génie logiciel à Polytechnique Montréal
Originaire du Maroc, Hiba Jlil partage la même impression.
« C’est beaucoup mieux ici qu’à beaucoup d’autres places », souligne l’étudiante en génie logiciel, ajoutant quand même qu’il y aura toujours « quelques personnes qui pensent que ce n’est pas [la] place » des femmes.