Gisèle Pelicot, « un rai de lumière dans la noirceur »
Le procès qui a captivé le monde entier s'est terminé jeudi sur un verdict de culpabilité pour Dominique Pelicot et 50 coaccusés. Au cœur de cette ignoble affaire, une femme, Gisèle Pelicot, qui, en refusant le huis clos, a ouvert un tel débat que celui-ci pourrait mener à une modernisation du droit criminel en matière d'agressions sexuelles en France.
Louise Colcombet suivait l'affaire Pelicot depuis quatre ans lorsqu'elle a entendu pour la première fois la voix de cette femme dont le mari l'avait droguée, violée et livrée, inconsciente, à des dizaines d'inconnus recrutés sur Internet qui l'ont agressée à leur tour. Jusque-là, cette grande reporter et chroniqueuse judiciaire du Parisien n'avait entendu parler de cette femme que comme un objet, presque un cadavre.
Puis, Gisèle Pelicot a pris la parole en cour de justice. J'ai vu une femme debout avec la volonté de faire changer la société, qui s'exprimait clairement, sans haine, a raconté Louise Colcombet à Tout un matin, sur ICI Première, jeudi.
Pour moi, elle a repris vie à ce moment-là, et elle a vraiment fait rentrer un rai de lumière dans la noirceur de tous ces faits.
Pour Louise Colcombet, ce fut le moment le plus marquant de ce procès qui s'est clos jeudi avec la condamnation sur toute la ligne de Dominique Pelicot et de 50 autres hommes.
Un procès sans précédent, dit la chroniqueuse judiciaire, qui l'a suivi de bout en bout. Sur le boulevard Limbert, devant le Tribunal judiciaire d'Avignon, il a fallu interrompre la circulation pour contenir les représentants des 188 médias accrédités – dont 80 venus de l'étranger – et les manifestations de soutien à Mme Pelicot organisées non seulement par des collectifs féministes mais aussi par des femmes pas forcément militantes et quelques hommes.
Des manifestantes attendent la sortie de Gisèle Pelicot devant le palais de justice à Avignon le 19 décembre 2024.
Photo : afp via getty images / CLEMENT MAHOUDEAU
Et que dire de l'intérieur du palais de justice : Énormément de monde et une tension, évidemment, avant le verdict, relate la reporter du Parisien.
Sans précédent et aussi hors norme, ce procès, comme l'écrivait Le Monde, par la sérialité des faits exposés :
près de 200 viols aggravés, qui se sont échelonnés de 2011 à 2020;quantité de preuves matérielles relevées par les enquêteurs (quelque 20 000 photos et vidéos de Gisèle Pelicot archivées par son mari);51 accusés, dont le mari de la victime, Dominique Pelicot, jugé pour des viols triplement aggravés (par conjoint, en réunion et sous soumission chimique).Pour que la honte change de campSi Gisèle Pelicot est devenue une héroïne féministe, comme l'a dit le New York Times, et un tel symbole de courage, c'est parce qu'elle a fait entendre sa voix, justement, et qu'elle a affronté à visage découvert ses agresseurs.
En refusant dès le premier jour du procès le huis clos (pourtant demandé par le parquet et auquel ont droit les victimes de viol), cette septuagénaire posée, sobre et digne a fait en sorte que la honte change de camp.
J'ai voulu, en ouvrant les portes de ce procès le 2 septembre dernier, que la société puisse se saisir des débats qui s'y sont tenus. Je n'ai jamais regretté cette décision, a-t-elle affirmé jeudi.
Gisele Pelicot a fait une déclaration à l'intérieur du palais de justice après le verdict dans l'affaire Pelicot, le 19 décembre 2024, à Avignon, en France.
Photo : Getty Images / Julien Goldstein
Devant le chic type qu'elle croyait avoir épousé et qui a expliqué qu'il avait voulu assouvir son fantasme de soumettre une femme insoumise, Gisèle Pelicot a dénoncé une société machiste et patriarcale et a appelé à changer le regard sur le viol.
À certains avocats de la défense qui ont avancé qu'elle était peut-être consentante dans un supposé scénario libertin, Gisèle Pelicot a répliqué : Je trouve cela insultant et je comprends pourquoi les victimes de viol ne portent pas plainte.
Présente presque chaque jour du procès, Gisèle Pelicot a observé ces hommes tenter de se trouver des excuses et, dans certains cas, lui présenter des excuses – qu'elle a refusées. Elle a fait preuve d'un courage incroyable, s'ébahit Umni Khan, professeure associée à la faculté de droit et d'études juridiques de l'Université Carleton à Ottawa, en entrevue avec CBC en octobre dernier.
En témoignant publiquement et en interpellant les accusés, Gisèle Pelicot a affirmé son pouvoir en tant que survivante, en tant qu'héroïne, pour toutes les femmes en France et à travers le monde.
Cette chercheuse en matière de genre, de sexualité et de droit affirme en outre que Mme Pelicot a remis en question les mythes à propos des agressions sexuelles, y compris la croyance selon laquelle une personne est en sécurité à la maison ainsi que l'idée selon laquelle les violeurs sont des inconnus plutôt que les voisins et les membres de sa communauté.
Prise de conscience face à #MoiAussiC'est grâce à la détermination de cette femme que l'affaire des viols de Mazan marque un tournant en France, de l'avis de Sophie Gagnon.
À Tout un matin sur ICI Première jeudi, la directrice générale de Juripop a expliqué qu'en France, jusqu'à présent, le mouvement #MoiAussi n'avait pas eu le même impact qu'ici.
Au Québec, a-t-elle dit, ce mouvement a donné lieu à la création du Comité transpartisan sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale, à la création de tribunaux spécialisés et à un investissement dans les ressources de première ligne.
Pendant ce temps, en France, #MoiAussi a polarisé le débat et a même divisé les femmes, notamment, a rappelé Me Gagnon, lors de la publication d'une lettre ouverte dans laquelle une centaine de femmes, dont l'actrice Catherine Deneuve, défendaient une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle.
Avec l'affaire des viols de Mazan et sa judiciarisation, les Français ont effectué une prise de conscience, croit Sophie Gagnon.
L'impact de ce procès sera-t-il durable?Déjà, une suite se dessine pour ce procès retentissant puisque plusieurs des accusés, dont Dominique Pelicot, n'ont pas exclu de faire appel de leur condamnation.
Ce croquis d'audience réalisé le 19 décembre 2024 à Avignon montre Dominique Pelicot au banc des accusés.
Photo : afp via getty images / BENOIT PEYRUCQ
Bien que les coaccusés aient reconnu s'être rendus chez Dominique Pelicot et avoir eu des rapports sexuels avec sa femme, ils ont affirmé ne pas avoir eu l'intention de commettre un viol. Ils ont dit ignorer que Gisèle Pelicot n'était pas en mesure de donner son consentement.
La majorité des coaccusés, soit 35 d'entre eux, ont contesté les faits qui leur étaient reprochés.
Certains [des accusés] sont même dans le déni : ils ne se considèrent pas comme des violeurs. Pour eux, c'est une infamie.
Jeudi, Christophe Brushi, l'avocat d'un des coaccusés, a lancé à des femmes qui manifestaient à la sortie du tribunal le message de son client à l'intention de toutes ces hystériques et ces mal embouchées : "Merde, mais avec le sourire. Allez, les tricoteuses!".
Pour que de telles violences cessentEn droit criminel, la peine sert divers objectifs, a expliqué Sophie Gagnon, de Juripop : non seulement punir et mettre une personne hors d'état de nuire, mais aussi réhabiliter et dissuader, des facteurs inhérents à la détermination d'une peine.
Gisèle Pelicot a souvent répété qu'elle avait porté plainte pour ses enfants, pour ses petits-enfants, parce qu'elle veut que de telles violences soient mises au jour afin qu'elles cessent.
Mme Pelicot souhaite que les femmes qui lui succéderont n'aient plus à vivre de telles violences.
Elle voulait aussi des explications, ce que le procès ne lui a pas vraiment donné l'occasion d'obtenir, a dit Sophie Gagnon.
La notion de consentementRappelant que plusieurs différences opposent le droit canadien au droit français, la directrice générale de Juripop a expliqué que durant le procès, quelques-unes des questions posées à Gisèle Pelicot auraient été tout à fait inadmissibles dans une salle de cour au Canada.
On lui a demandé pourquoi elle ne pleurait pas davantage en salle de cour, pourquoi elle n'était pas plus fâchée contre son mari; on lui a posé énormément de questions sur son passé sexuel : était-elle une exhibitionniste? Adepte de l'échangisme? On lui a demandé si elle était alcoolique...
Ces questions relèvent très clairement de mythes et de stéréotypes, explique Sophie Gagnon. Or, au Canada, la Cour suprême a déclaré dans les années 1990 qu'il est inacceptable en droit criminel de poser de telles questions.
L'indignation qui a suivi, à bon droit, ces questions-là va peut-être mener en France à une réforme du droit français, a avancé Me Gagnon.
On peut penser à la notion de consentement qui, tenez-vous bien, n'est pas pertinente en droit criminel français.
En France, la définition d'agression sexuelle ne fait pas mention du consentement ou non de la victime alléguée.
Le fardeau de la preuve en matière d'agression sexuelle est plus élevé en France qu'au Canada, a dit Sophie Gagnon : On parle d'une pénétration qui est faite avec violence, menace, contrainte ou surprise. Le parquet (la Couronne au Canada) doit démontrer un de ces quatre éléments. À la suite de ce procès fracassant, Sophie Gagnon se dit curieuse de voir si le droit en France sera modernisé.
Rebâtir sa vieDésormais, Gisèle Pelicot vit sous son nom de jeune fille dans un coin de la France qu'elle n'a pas dévoilé. Elle tente de se reconstruire, elle qui a dit avoir été totalement détruite.
Son ex-mari a été condamné à la peine maximale. Des peines plus faibles que celles qui avaient été réclamées ont été prononcées contre ses 50 coaccusés, une décision que Gisèle Pelicot a affirmé respecter.
De toute façon, jeudi, ce n'est pas à ces hommes qu'elle a adressé son message le plus important mais à ses enfants, à ses petits-enfants, à ses belles-filles.
Je pense enfin aux victimes non reconnues dont les histoires demeurent souvent dans l'ombre. Je veux que vous sachiez que nous partageons le même combat.
Et à toutes les personnes qui l'ont soutenue tout au long de cette épreuve, elle a exprimé sa gratitude la plus profonde. Vos témoignages m'ont bouleversée et j'y ai puisé la force de revenir chaque jour.
Une banderole avec les mots « Merci Gisèle » est vue pendant le prononcé du verdict dans l'affaire Pelicot le 19 décembre 2024 à Avignon, en France.
Photo : Getty Images / Julien Goldstein
Durant le procès, l'Hymne des femmes a beaucoup résonné dans les rues d'Avignon, avec colère, rage, mais surtout détermination : Debout, debout, debout!
Il fallait une femme qui parle.
Avec les informations de Le Monde, Agence France-Presse, CBC, 7 sur 7 et Sud-Ouest