Victoire explosive de «Oppenheimer» aux Oscar

11 Mar 2024

C’était écrit dans le ciel de Hollywood : Oppenheimer a remporté comme prévu une victoire explosive dimanche soir en raflant sept Oscar, soit meilleurs film, réalisation, direction photo, montage, musique, acteur et acteur de soutien. Le producteur-réalisateur Christopher Nolan est ainsi monté sur la scène du Dolby Theater deux fois plutôt qu’une, parachevant le parcours exceptionnel pour son 12e long métrage. Après avoir raflé la majorité des récompenses remises par les différentes guildes, il eût été très surprenant qu’un autre film coiffe Oppenheimer au poteau. En fait, la 96e soirée des Oscar fut en elle-même presque — presque — exempte de surprises, exception faite, peut-être, d’un monologue d’ouverture d’un gênant assez stupéfiant.

Oppenheimer - Figure 1
Photo Le Devoir

Après une blague tombée à plat sur le flop Madame Web, l’animateur Jimmy Kimmel a poursuivi une espèce de bien-cuit pas drôle, hésitant entre complaisance crasse et vacherie mal assumée (n’est pas Ricky Gervais qui veut). Son rappel des problèmes de consommation passés de Robert Downey Jr. était malaisant — pourtant reconnu pour son sens de l’autodérision, le principal intéressé n’a pas eu l’air amusé.

Lui aussi lauréat, avant la cérémonie, de la plupart des lauriers clés, notamment ceux remis par l’influente Screen Actors Guild (SAG), Cillian Murphy a raflé tel qu’anticipé l’Oscar du meilleur acteur pour Oppenheimer. L’Oscar de la meilleure actrice, que plusieurs voyaient déjà aller à Lily Gladstone pour Killers of the Flower Moon, a plutôt été remis à Emma Stone pour sa performance (furieusement originale et brillante) dans Poor Things.

Photo: Chris Pizzello Invision/Associated Press Emma Stone lors de la réception de son Oscar

Pas de surprise en interprétation de soutien non plus : Da’Vine Joy Randolph, pour The Holdovers, et Robert Downey Jr., pour Oppenheimer (et cette fois souriant), ont complété leurs parcours sans faute respectifs.

Guère de suspense au rayon de l’écriture, mais des lauréats méritants. Pour le scénario original, Anatomie d’une chute l’a emporté. La réalisatrice Justine Triet et son coscénariste Arthur Harari sont allés chercher le prix : une douce revanche après que la France n’eut pas choisi le film, pourtant gagnant de la Palme d’or, pour la représenter dans la catégorie du meilleur film international.

En vrac

Avec la victoire d’Emma Stone, Poor Things est l’autre gagnant notable, avec aussi les statuettes pour les maquillages et coiffures, direction artistique, et costumes. La production japonaise Godzilla Minus One s’est distinguée pour ses effets visuels. En provenance du Japon également, Le garçon et le héron, de la légende vivante Hayao Miyazaki, a été couronné meilleur long métrage d’animation.

Le Québécois Vincent René-Lortie et son film Invincible se sont inclinés devant Wes Anderson et son The Wonderful Story of Henry Sugar dans la catégorie du meilleur court métrage de fiction.

The Zone of Interest est quant à lui reparti avec l’Oscar du meilleur film international (ainsi qu’avec celui de la conception sonore). Mains tremblantes, le réalisateur Jonathan Glazer a rappelé que la déshumanisation nazie qu’il dépeint dans son film est encore à l’oeuvre aujourd’hui.

Dans son discours, le réalisateur Mstyslav Chernov, dont le 20 Days in Mariupol a été sacré meilleur documentaire, s’est lui aussi fait politique : « C’est le premier Oscar de l’histoire de l’Ukraine. Et je suis sans doute le premier lauréat à déclarer souhaité n’avoir jamais fait ce film [sur l’invasion russe]. Mais je ne peux changer l’Histoire. Tous ensemble, nous pouvons nous assurer que la vérité soit connue : le cinéma forme la mémoire, et la mémoire forme l’Histoire. »

Sur une note plus légère, John Cena a réussi à faire rire en parodiant la fameuse traversée de la scène par un militant nu, survenue en 1974… non sans avoir dû composer, en amont, avec une mise en place fastidieuse du gag par Jimmy Kimmel.

Des présentateurs ayant du mal à lire le télésouffleur, aux gagnants qui en arrachent avec leurs remerciements, en passant par des improvisations boiteuses, la grand-messe du cinéma a souffert (et nous avec) d’un déroulement défaillant.

Heureusement Ken

L’événement demeure certes incontournable pour une majorité de cinéphiles (et encore), mais les cotes d’écoute sont en déclin constant depuis 2015. Avoir deux énormes succès de box-office comme Barbie et Oppenheimer en lice pour le meilleur film, aura sûrement aidé aux cotes d’écoute de 2024 (elles seront connues lundi). À long terme cependant, ce n’est pas le spectacle empoussiéré de dimanche qui ramènera les téléspectatrices et téléspectateurs lambdas au bercail.

Il faudra en tout cas plus qu’un ou deux verres d’alcool (un truc piqué aux traditionnellement plus swinguants Golden Globes), pour renouveler la formule.

Rare moment franchement réjouissant et parfaitement réussi dans son second degré assumé : l’interprétation par Ryan Gosling de la chanson I’m Just Ken, tirée de Barbie (avec la participation de Slash à la guitare électrique !).

L’oscarisée chanson de Billie Eilish et Finneas O’Connell What Was I Made For, elle aussi tirée de Barbie, le numéro offert par la nation Osage… Ces passages musicaux ont eux aussi rehaussé, quelques minutes durant, le niveau d’intérêt d’une soirée trop souvent soporifique.

Ce qui est paradoxal, compte tenu du fait que 2023 aura été un cru cinématographique extrêmement vivifiant, d’une rare qualité, et d’une incroyable diversité. Un monde sépare en effet Barbie et Oppenheimer, Poor Things et Past Lives, American Fiction et Maestro, Killers of the Flower Moon et The Holdovers, The Zone of Interest et Anatomie d’une chute, tous remarquables à leur façon… Les films nommés, ainsi que celles et ceux qui les ont créés, méritaient mieux que ce spectacle laborieux.

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