Instagram, blessures, poursuites et agrotourisme : l'Ontario légifère
Des visiteurs en talons hauts dans des champs de citrouilles et des touristes qui ignorent les barrières de sécurité pour prendre le cliché parfait… puis qui poursuivent les fermiers en justice parce qu'ils se sont blessés. Ce sont des exemples cités par des entrepreneurs ontariens en agrotourisme pour signifier leur appui à une nouvelle loi qui vient d'être adoptée.
La Loi de 2024 sur le développement de l'agrotourisme a reçu la sanction royale le 19 décembre. Elle protège désormais les exploitants agricoles des poursuites liées aux risques inhérents aux activités agrotouristiques , comme les terrains accidentés ou le comportement imprévisible des animaux.
Les gens viennent visiter la ferme [en portant des vêtements] très étranges parce qu'ils veulent une photo Instagram, mais ils ne comprennent pas que c'est un terrain inégal , a expliqué Cheryl Haskett, dirigeante de la ferme Udderly Ridiculous à Bright, en Ontario, lors d'une entrevue à la radio de CBC, vendredi.
C'est une terre agricole. Nous faisons de l'agriculture et vous venez dans un endroit où vous devez vous préparer. Ce n'est pas différent que de sortir en plein hiver : si vous sortez en t-shirt, vous allez avoir froid. Mais le bon sens n'est pas toujours commun.
Une protection spécifiqueLa loi s'applique aux entreprises agricoles dont le revenu brut annuel atteint au moins 7000 $, excluant les revenus provenant des activités agrotouristiques. Elle couvre toute activité éducative, historique, culturelle, récréative ou de divertissement liée à l'agriculture, y compris les activités d'autocueillette et les marchés fermiers.
Je pense que, d'un point de vue humain, c'est une bonne chose. D'un point de vue économique, c'est logique , a déclaré le député progressiste-conservateur Matthew Rae devant le comité permanent des affaires intérieures à Queen's Park, le 26 novembre. M. Rae est celui qui a présenté le projet de loi à l'Assemblée législative.
Pour bénéficier de cette protection, les exploitants doivent soit afficher un avertissement à l'entrée principale de chaque activité, soit inclure une clause dans leurs contrats informant les visiteurs des risques inhérents.
L'avertissement obligatoire se lit comme suit : Sous le régime des règles de droit de l'Ontario, un fournisseur agrotouristique n'est pas responsable en cas de décès, de blessure ou de maladie d'un participant à une activité agrotouristique menée dans le présent site d'agrotourisme si son décès, sa blessure ou sa maladie résulte de risques inhérents à cette activité. Les risques inhérents aux activités agrotouristiques comprennent notamment le risque de blessure inhérent au terrain, à l'équipement et aux animaux, ainsi que la possibilité que vous, en tant que participant, agissiez d'une manière négligente susceptible de contribuer à votre blessure ou à votre décès. Vous assumez les risques liés à votre participation à cette activité agrotouristique .
La nouvelle loi doit protéger les entrepreneurs en agrotourisme. (Photo d'archives)
Photo : Alpagas Portneuf
Cette loi ne donne pas carte blanche aux exploitants agrotouristiques de faire ce qu'ils veulent sans jamais être poursuivis , a déclaré Kevin Vallier, PDG de Farm Fresh Ontario, lors des audiences du comité permanent du 26 novembre. Elle fournit simplement une couche de protection parce que, lorsque vous marchez sur une ferme en activité, il y a bien sûr des risques inhérents. Le sol est inégal; l'herbe peut être mouillée; si vous nourrissez un bébé chèvre, il pourrait vous mordre le doigt.
Des primes qui explosentSelon Darlene Downey, propriétaire de la ferme Downey de Caledon, ses primes d'assurance grimpent constamment. Elle affirme que sa prime d'assurance responsabilité a bondi de 20 000 $ à plus de 100 000 $ en une seule année. Elle ajoute n'avoir aucune réclamation en cours.
« Nous craignons d'être abandonnés par une compagnie d'assurance à cause des poursuites frivoles », a-t-elle expliqué devant le comité permanent des affaires intérieures le mois dernier. « Je paie des milliers de dollars d'assurance chaque mois pour couvrir différentes activités, de l'agriculture traditionnelle aux différents aspects de l'agrotourisme. »
De son côté, lors de son témoignage devant le comité, M. Vallier a cité l'exemple d'un membre faisant face à trois poursuites pour des blessures à la cheville qui auraient été subies par des clients sur sa ferme. « Il a déjà dépensé 285 000 $ en frais d'avocats pour ces poursuites "frivoles", et attend maintenant de voir si la ferme pourra être assurée à l'avenir », a-t-il précisé. « L'une des personnes a même enjambé deux barrières clairement inscrites "employés seulement" avant de se blesser » selon M. Vallier, et cette personne poursuit tout de même la ferme en question, a-t-il ajouté.
Un secteur en pleine croissanceL'agrotourisme connaît un essor important en Ontario. La ferme Downey accueille plus de 170 000 visiteurs par année, dont 25 000 élèves ontariens lors de visites scolaires, selon sa propriétaire.
« Pour beaucoup de nos visiteurs, c'est leur première fois sur une ferme, leur première fois à caresser une chèvre, leur première fois à cueillir une citrouille », a expliqué Mme Downey lors de son témoignage. Et, a-t-elle expliqué, l'attrait des médias sociaux est la source de bien des comportements à risque. « Ils ne comprennent pas que c'est un terrain inégal. C'est une terre agricole. »
Selon un sondage de la Fédération de l'agriculture de l'Ontario réalisé en 2022, plus de 40 % des répondants ont indiqué qu'ils offraient ou souhaitaient offrir des activités agrotouristiques sur leur ferme. Ces activités vont de la vente de produits à valeur ajoutée comme des produits de boulangerie, de la laine, des conserves et des repas préparés, aux expériences à la ferme.
Un impact sur les investissements« Il y a des gens qui ont de l'argent et des investisseurs qui sont prêts à se lancer, mais ils ne peuvent pas le faire parce qu'ils sont freinés par ces questions d'assurance », a déclaré Ian Worte, gestionnaire du développement des destinations à l'Alliance du tourisme culinaire, lors des audiences du comité permanent le 26 novembre. « J'étais dans une salle, il y a environ trois semaines, et deux ou trois personnes ont dit après : "Si ce projet de loi est adopté, j'investirai dans l'agrotourisme". »
La loi s'inspire de lois similaires dans plus de 30 États américains. Les provinces comme l'Alberta surveillent de près cette initiative ontarienne. Selon M. Worte, l'agrotourisme pourrait facilement valoir entre 1 et 2 milliards de dollars pour l'économie ontarienne.
« Nous ne cherchons pas l'immunité complète contre les poursuites », a conclu Mme Downey devant le comité permanent. « Nous demandons une protection contre les réclamations sans fondement qui continuent de menacer nos entreprises et notre mode de vie. »
La nouvelle loi est en vigueur depuis la semaine dernière.
Avec des informations de CBC