Les milliards offerts par Québec et Ottawa pour financer la méga-usine de Northvolt et subventionner sa production seront insuffisants pour permettre à l’entreprise de réaliser l’ensemble de ses ambitions québécoises. Les gouvernements devront une fois de plus délier les cordons de leur bourse s’ils veulent que la deuxième phase du complexe devienne réalité.
Publié à 0h55 Mis à jour à 5h00
Occulté par l’ampleur des prêts, subventions et prises de participation – qui pourraient atteindre 7,3 milliards – dont bénéficiera la jeune pousse suédoise, cet aspect du projet n’a pratiquement pas été abordé, jeudi, au cours de la conférence de presse à grand déploiement à laquelle participaient notamment les premiers ministres François Legault et Justin Trudeau, officialisant le projet.
Tout cela ne concerne que la première phase.
PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE
Cellule de Northvolt
« Absolument », a confirmé le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie Pierre Fitzgibbon, en entrevue avec La Presse, à qui on demandait s’il faudrait éventuellement se rasseoir avec Northvolt pour négocier un autre soutien financier.
Sur la Rive-Sud de Montréal, l’entreprise fabriquera des matériaux de cathodes (le pôle positif de la batterie), ainsi que des cellules, soit la dernière étape avant l’assemblage des batteries. Elle effectuera aussi du recyclage de batteries. D’une capacité de 60 gigawattheures, le projet sera capable d’alimenter l’équivalent d’un million de véhicules électriques.
Ce qui a été présenté jeudi ne constitue que la moitié de cette cible.
La part de Québec (environ 1,37 milliard)
Prêt : 376 millions Subvention : 436 millions Actions de l’entreprise : 567 millionsLa part d’Ottawa (environ 1,37 milliard)
Prêt et actions de l’entreprise : 900 millions Subvention : 400 millions Subventions pour la production des cellules* Québec : 1,5 milliard Ottawa : 3,1 milliards* L’argent est versé une fois que les cellules sont produites et livrées.
« Les calculs n’ont pas été faits [pour la phase 2], mais l’investissement, ça va être un peu moins que 7 milliards et plus que 5 milliards, disons », a convenu M. Fitzgibbon, en ajoutant que l’on « spécule un peu » pour le moment.
Un autre effort financier public devrait donc être nécessaire, admet le ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne. La facture risque d’être moins salée pour les gouvernements, a expliqué le ministre, dans un entretien. Dans ce scénario, il n’y aurait vraisemblablement pas de subvention à la production.
« Avec la phase 1 en place, le contexte sera un peu différent, affirme-t-il. Il a fallu faire un pas de plus aujourd’hui, mais une fois qu’ils [Northvolt] sont là, ce n’est plus pareil. Ce qui est difficile, c’est de les attirer la première fois. »
Imiter les AméricainsEn s’établissant sur l’ancien site de l’usine d’explosifs de la Canadian Industries Limited (CIL), qui chevauche les municipalités de McMasterville et Saint-Basile-le-Grand, Northvolt viendra ajouter le chaînon manquant de la filière québécoise des batteries. Le terrain est d’une superficie de 170 hectares.
ILLUSTRATION NORTHVOLT, FOURNIE PAR REUTERS
La méga-usine de Northvolt prévue à McMasterville
Le complexe, un projet estimé à 7 milliards, est présenté comme le plus important investissement privé de l’histoire du Québec. Le « pas de plus » que les deux ordres de gouvernement ont dû faire pour convaincre Northvolt de ne pas s’établir en Californie ? Imiter les Américains avec l’Inflation Reduction Act (IRA), doté d’une enveloppe de 370 milliards US pour subventionner un éventail de projets, comme la fabrication de batteries.
Cela signifie que les gouvernements Legault et Trudeau vont subventionner, jusqu’à hauteur de 4,6 milliards, la production de l’usine québécoise de Northvolt, qui doit débuter vers 2027. Québec versera jusqu’à 1,5 milliard, tandis qu’Ottawa pourrait offrir 3,1 milliards.
La raison pour laquelle le gouvernement et nous avions acquiescé, c’est que si on ne l’offrait pas, le projet s’en allait aux États-Unis pour des raisons évidentes.
Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie
Les gouvernements financeront aussi la construction de la première phase de l’usine. Québec met 1,37 milliard par l’entremise d’un prêt (367 millions), une subvention (436 millions) et une prise de participation (567 millions) dans Northvolt. Pour sa part, le gouvernement Trudeau accorde 1,34 milliard. M. Champagne n’a pas fourni les détails, mais la mécanique de l’aide est semblable à celle de Québec.
M. Legault a reconnu que les sommes sur la table frappent l’imagination. Pour défendre l’approche de son gouvernement, il a dressé un parallèle avec le chantier du barrage de la Baie-James lancé par l’ex-premier ministre libéral Robert Bourassa.
« Il y en a qui trouvaient ça fou, a lancé M. Legault. Ce [dont] on s’est rendu compte, c’est que c’était un coup de génie. »
ConditionnelInterrogés sur l’ampleur du traitement réservé à Northvolt, tous les politiciens présents à la conférence de presse ont insisté sur le caractère conditionnel de la subvention de 4,6 milliards. Il faudra attendre la livraison des premières cellules à des clients avant de commencer à verser l’argent, ont-ils plaidé. La subvention est en vigueur jusqu’en 2032. De plus, toute modification qui rendrait l’IRA moins généreux sera aussi appliquée de ce côté-ci de la frontière. Si cette stratégie américaine venait à disparaître, la subvention canadienne ferait de même.
MM. Fitzgibbon et Champagne font par ailleurs valoir qu’avec les retombées fiscales anticipées, notamment avec la création de 3000 emplois, les gouvernements devraient obtenir un rendement sur leur investissement dans les neuf années suivant le début de la production, prévue vers 2026.
La première phase du complexe de Northvolt devrait exiger près de 200 mégawatts de puissance, soit environ la moitié d’une aluminerie. Par ailleurs, Northvolt n’a pas obtenu de traitement de faveur de la part d’Hydro-Québec. L’entreprise paiera le tarif applicable aux entreprises grandes consommatrices d’énergie (tarif L).
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Paolo Cerruti
Le cofondateur de Northvolt, Paolo Cerruti, qui déménagera au Québec pour diriger l’antenne nord-américaine de l’entreprise, qui sera à Montréal, veut rassurer rapidement les citoyens de la Rive-Sud préoccupés par la construction d’une méga-usine. Avec son équipe, M. Cerruti ira à la rencontre des résidants de McMasterville et de Saint-Basile-le-Grand les 4 et 5 octobre prochains. « Cela peut être très intimidant et on le reconnaît. Pour bien comprendre [le projet], il faut fournir un effort d’information. Il faut aller à la rencontre des communautés locales, avec les maires, sur le terrain, pour répondre aux questions et à leurs inquiétudes. » Une pétition en ligne qui s’oppose à la venue de l’entreprise a récolté quelque 770 signatures. Les signataires s’inquiètent notamment du bruit et de la proximité entre le complexe et les résidences du secteur.
Je pense que la CAQ sent le besoin d’être généreuse envers les étrangers pour pouvoir stimuler une initiative, qui est la filière batterie. Est-ce que ça va porter des fruits ? On l’espère, quand même. Mais la réalité, c’est qu’on n’a pas de logements puis on n’a pas de bras. Ça fait que comment vont-ils réussir ? [Pour] moi, c’est les deux conditions essentielles […] avec l’énergie. On a besoin d’avoir ces trois éléments-là au rendez-vous pour que ça fonctionne. On souhaite que ça fonctionne.
Frédéric Beauchemin, porte-parole du Parti libéral en matière d’économie
Le seul qualificatif, c’est énorme. C’est gigantesque. Nous, ce qu’on veut, c’est que les Québécois en aient pour leur argent. C’est quoi, la garantie que les Québécois vont en avoir pour leur argent ? On annonce des milliards, des milliards, des milliards. C’est de l’argent public. Ce n’est pas de l’argent de Monopoly. […] C’est quoi, les garanties que cet argent-là il va être bien dépensé, qu’il va profiter aux gens du Québec, pas aux multinationales puis à leurs actionnaires ?
Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de Québec solidaire
Pendant qu’on rêve à des entreprises qui vont construire davantage de voitures avec des batteries électriques, qu’en est-il de l’objectif de réduire nos gaz à effet de serre de 37,5 % d’ici 2030 ? Il y a un peu d’écoblanchiment aussi dans ce projet-là. On est évidemment pour la filière électrique, mais, à un moment donné, est-ce que c’est en produisant 175 térawattheures de plus d’électricité qu’on est vraiment dans la bonne direction pour atteindre nos objectifs, alors qu’on ne fait rien pour le bâtiment, on ne fait rien pour le transport lourd ?
Joël Arseneau, député du Parti québécois
Avec Fanny Lévesque, La Presse
15 milliards Somme des investissements qui devraient être annoncés dans la filière des batteries d’ici un an, selon le premier ministre François Legault
25 Nombre de projets actuellement sur la table de Québec dans ce créneau
Source : gouvernement du Québec