Avec «Megalopolis», Coppola fait patate (et navet)

17 May 2024
Megalopolis

On l’attendait et on ne l’attendait plus, Megalopolis, l’ambitieuse fresque de Francis Ford Coppola, annoncée puis reportée depuis maintenant quarante ans. En définitive, le vétéran cinéaste l’a autoproduite, y investissant de sa poche 120 millions de dollars américains. Ce n’est pas le premier pari du plus mégalomane des réalisateurs américains, lui qui faillit perdre la raison pendant le tournage cauchemardesque d’Apocalypse Now (C’est l’apocalypse) et qui passa à un cheveu de la faillite après le flop de One from the Heart. Une dernière gageure pour un ultime film, donc. Hélas, le chant du cygne majestueux espéré à Cannes s’est plutôt révélé être un couac affreux. Deux fois lauréat de la Palme d’or, Coppola ne risque pas d’en récolter une troisième avec Megalopolis.

Rarement ai-je vu un cinéaste de talent — et celui de Coppola est aussi indéniable que considérable — faire patate, ou enfin navet, à ce point. Car c’est de cela qu’il s’agit. Malgré sa sélection en compétition officielle, le film n’a intéressé encore aucun distributeur nord-américain pour une sortie en salle chez nous : une fois la chose vue, ça se comprend.

Rien ne fonctionne dans cette dystopie clinquante plombée par des effets spéciaux allant du moyen au médiocre.

Le récit, réécrit 300 fois, dixit Coppola dans Vanity Fair, reprend diverses figures de la Rome antique et les replace dans le contexte d’un New York du futur proche. Et de mettre dans la bouche de tout ce beau monde des dialogues shakespeariens pompeux, infusés d’expressions modernes de manière complètement aléatoire.

Les proverbiaux ongles sur un tableau, c’est de la musique comparativement au charabia entendu dans ce salmigondis narratif truffé d’idées inabouties.

De fait, sans surprise considérant la genèse achoppée du scénario, l’intrigue est, pour dire les choses gentiment, bancale.

On suit Cesar, un architecte qui possède le don de stopper le cours du temps. Idéaliste et, oui, mégalo sur les bords, Cesar entend transformer la cité en utopie pour tous, ce que le maire conservateur voit d’un très mauvais oeil. Et il y a Julia, la fille du politicien, qui se prend de fascination, puis d’affection, pour Cesar…

À cela s’ajoutent des sous-intrigues concernant le cousin jaloux de Cesar, qui se meut en personnage trumpien, ainsi que l’ex-maîtresse de Cesar, qui l’aime toujours même si elle a épousé le riche oncle de ce dernier. En roue libre, Shia LaBeouf et Aubrey Plaza amusent dans ces partitions caricaturales, à défaut de convaincre.

Ils se tirent en tout cas mieux d’affaire qu’Adam Driver (Ferrari), qui, dans le rôle de Cesar, a beaucoup de mal à ajuster ses niveaux d’intensité : c’en est parfois involontairement drôle.

D’ailleurs, c’est là l’un des nombreux problèmes de Megalopolis : le film fait irrépressiblement rire lorsqu’il se veut sérieux, mais s’avère embarrassant d’inefficacité lorsqu’il essaie d’être comique. Quant à l’histoire d’amour, elle demeure désincarnée, même si Coppola la place au coeur de son film.

Artificialité assumée

À cet égard, si on continue d’associer le cinéaste à la violence mâle depuis ses chefs-d’oeuvre The Godfather (Le parrain), The Godfather Part II (Le parrain II) et évidemment Apocalypse Now, l’amour fait tout autant partie de son ADN cinématographique.

Avec le susmentionné One from the Heart, le beau, le grand film maudit qui faillit lui coûter sa carrière, Coppola révéla un côté romantique assumé. Entièrement construite en studio, cette autre autoproduction démiurgique relate l’odyssée d’un couple séparé dont chaque conjoint songe à refaire sa vie avec le partenaire de ses rêves… avant de se raviser.

Ce romantisme se vérifia subséquemment dans le merveilleux Peggy Sue Got Married (Peggy Sue s’est mariée), où l’héroïne revenue dans le passé entend bien ne pas retomber amoureuse de son futur ex-mari… avant de se raviser.

Rebelote dans Bram Stoker’s Dracula (Le Dracula de Bram Stoker), sans conteste l’adaptation la plus axée sur l’histoire d’amour « à travers le temps » entre Mina et le comte vampire.

On retrouve un peu de ces trois films dans Megalopolis : l’artificialité volontaire et magnifiée de One from the Heart et de Dracula (on passe ici des trucages physiques aux effets numériques), le jeu temporel de Peggy Sue Mot Married, les amours contrariées au coeur des trois films…

Si seulement le résultat avait été de qualité comparable.

Tout s’écroule

Malgré le budget copieux, les décors et les costumes paraissent cheap, surtout lors des scènes qui se déroulent le jour. Ces passages font tout spécialement mal aux yeux tant ils sont cadrés et éclairés n’importe comment : à croire que le directeur photo, Mihai Mălaimare Jr. (Tetro), était alors absent.

Les séquences nocturnes, qui évoquent justement l’esthétique onirique saturée de One from the Heart, sont les plus intéressantes, mais semblent appartenir à un film différent. Çà et là, Coppola lance des clins d’oeil à ses idoles passées : Fellini, Powell et Pressburger…

Les longues minutes s’écoulent (138 au total), et tout s’écroule. L’effroi l’emporte, à mesure que Megalopolis sombre dans le n’importe quoi.

François Lévesque est à Cannes à l’invitation du festival et grâce au soutien de Téléfilm Canada.

Heureusement, Andrea Arnold

On attendait du bon et du beau de Bird, d’Andrea Arnold. À nouveau, la cinéaste anglaise brosse le portrait sensible et fin d’une adolescente à la veille de devenir une jeune femme. On retrouve le milieu difficile et le parent célibataire égocentrique de Wasp et de Fish Tank, le goût de l’affranchissement et de la transgression d’American Honey, la fascination pour une figure masculine mystérieuse de Wuthering Heights…

Or, à nouveau encore, la scénariste-réalisatrice parvient à rebrasser ses thèmes et motifs de prédilection sans se répéter.

Son héroïne du moment se prénomme Bailey, 12 ans, mais qui paraît plus vieille que son âge : cette maturité dans le regard, sans doute (Nykiya Adams, une vraie découverte). À l’approche du remariage de son père aimant, mais exaspérant (et irresponsable, et narcissique, et toxicomane, alouette : un excellent Barry Keoghan), Bailey file un été où rien ne semble se passer, mais où tout est voué à changer. Cela, en partie à cause de — à moins que ce ne soit grâce à — une rencontre avec un curieux jeune homme : Bird (Franz Rogowski, fascinant).

S’ensuit une sorte de conte de la banlieue où Arnold ramène à l’image ce mélange exquis alliant réalisme social et réalisme poétique (surtout lors de ces calmes apartés où elle filme la nature loin du chaos des tours d’appartements vétustes). À cela s’ajoutent cependant cette fois des touches de réalisme magique dont la première surprend, mais dont la dernière, en plus de donner envie de revoir le film à la lumière de ce qu’elle suggère, séduit complètement.

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