Si vite imposée, la loi martiale annulée en Corée du Sud. Pourquoi?
Stupeur en Corée du Sud, où, mardi soir, à la surprise générale, le président Yoon Suk-yeol a déclaré la loi martiale dans cette jeune démocratie asiatique, avant de se raviser quelques heures plus tard après un vote à l’Assemblée nationale, dominée par l’opposition.
La mesure n’avait jamais été invoquée depuis le processus de démocratisation du pays, dans les années 1980. Ce geste spectaculaire est devenu le point d’orgue de plusieurs mois de tension entre Séoul et le frère communiste voisin de la Corée du Nord, le tout nourri par un blocage du pouvoir législatif par une opposition aux desseins politiques troubles. Explications.
Que s’est-il passé ?En déclarant la loi martiale, mardi, Séoul a interdit toute activité politique en Corée du Sud, y compris celles du Parlement, autour duquel les hélicoptères de l’armée ont atterri dans les minutes qui ont suivi l’annonce du président. Les médias ont également été placés sous le contrôle et la surveillance du gouvernement.
L’opposition officielle a appelé la population à descendre dans les rues pour protester contre la décision du président Yoon Suk-yeol, qualifiée de « coup d’État ». Des centaines de manifestants ont répondu à l’appel et se sont rassemblés devant le parlement.
Passant outre l’encerclement du siège du pouvoir législatif à Séoul par les forces policières, les élus du Parti démocrate, principal parti d’opposition, se sont réunis dans l’enceinte durant la nuit pour voter à l’unanimité l’annulation du décret de loi martiale, qu’ils qualifient d’« invalide et illégale ». Selon la constitution du pays, le chef de l’État doit se conformer au vote du Parlement sur la suspension de la loi.
C’est ce qu’a fait le président sud-coréen dans les instants suivants. « Il y a eu une demande de l’Assemblée nationale pour lever l’état d’urgence, et nous avons procédé au retrait des militaires qui avaient été déployés pour les opérations de loi martiale », a-t-il déclaré à la télévision. Le gouvernement a ensuite approuvé la levée de la mesure. Au total, la loi martiale a été en vigueur durant environ six heures.
L’opposition a tôt fait de demander la démission immédiate du président, l’accusant d’« insurrection ». « Même si la loi martiale est levée, il est impossible d’éviter les accusations d’insurrection » contre lui, a déclaré par communiqué un responsable du Parti démocrate.
Dans quel contexte s’est jouée la déclaration d’une loi martiale ?La décision prise par le Parti du pouvoir au peuple, du président Yoon, survient dans la foulée d’un affrontement sur le projet de budget de l’an prochain devenu de plus en plus vif au sein du Parlement. Le Parti démocrate y est majoritaire.
Cette opposition a tenté d’imposer des compressions totalisant 2,8 milliards de dollars et ciblant le fonds de réserve du gouvernement ainsi que les budgets d’activité du bureau de la présidence, du ministère de la Justice, de la police et de l’instance de surveillance de l’État, des gardiens de l’état de droit en Corée du Sud.
Ces attaques s’inscrivent dans une logique disruptive portée par le chef de l’opposition, Lee Jae-myung, qui, en novembre dernier, a été reconnu coupable et condamné à un an de prison avec sursis pour avoir violé les lois électorales du pays. L’homme fait face à plusieurs autres accusations. Il a été inculpé en juin dernier dans une affaire de corruption et de transferts illégaux de quelque 8 millions de dollars vers la Corée du Nord qui aurait eu lieu alors qu’il était gouverneur de la province de Gyeonggi. L’argent aurait servi à faciliter une visite à Pyongyang.
Photo: Kim Ju-hyung/Yonhap via Associated Press Le chef de l’opposition, Lee Jae-myung, s’exprimant depuis l’Assemblée nationale, mardi
Lors de son allocution déclarant la loi martiale, Yoon Suk-yeol a justifié sa décision en accusant l’Assemblée nationale d’être devenue « un refuge pour les criminels, une dictature législative cherchant à paralyser les systèmes judiciaire et administratif et à renverser notre ordre démocratique libéral ». Il a ajouté : « Sans se soucier des moyens de subsistance du peuple, le parti d’opposition a paralysé le gouvernement, avec des intentions de destitutions, d’enquêtes spéciales, et ce, pour protéger son chef de poursuites judiciaires. »
Comment la communauté internationale a-t-elle réagi ?Les États-Unis, qui ont précisé ne pas avoir été informés à l’avance des intentions du président sud-coréen, se sont dits très « inquiets » mardi par la proclamation surprise de la loi martiale par l’un de leurs plus proches alliés dans le maintien de la paix dans cette région du globe. Des inquiétudes partagées entre autres par les Nations unies, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Washington s’est dit soulagé après l’annonce de la levée de la loi martiale.
Mardi, le ministère des Affaires étrangères du Canada a appelé les Canadiens se trouvant actuellement en Corée du Sud à faire « preuve de prudence » et à éviter les rassemblements, dans la foulée de l’adoption de la loi martiale par Séoul. Ottawa maintient par ailleurs ses mises en garde habituelles pour les voyageurs allant vers la péninsule coréenne, où les « tensions peuvent s’intensifier sans préavis », estime-t-il.
Selon Sydney Seiler, qui a été envoyé spécial des États-Unis aux pourparlers sur la Corée du Nord entamés en 2003 par George W. Bush, la crise en cours à Séoul devrait forcer le reste du monde à garder les yeux ouverts sur la dictature communiste de Pyongyang, qui pourrait y voir une « occasion à exploiter », et ce, pour alimenter son conflit historique avec le Sud, a-t-il indiqué mardi sur les ondes de CNN.
Avec l’Agence France-Presse