(Calcutta) Elles s’appellent Zarin ou Ayesha, elles ont 20 ans et ont été vendues par leur famille comme esclaves sexuelles pour quelques milliers de dollars. Même sévèrement réprimé par la loi, le trafic des jeunes femmes reste un fléau en Inde.
Aishwarya KUMAR Agence France-Presse
En 2022, le ministère de l’Intérieur a officiellement recensé 2250 victimes de trafic d’êtres humains. Les policiers chargés de les réprimer ont arrêté 5864 suspects et la justice a prononcé 204 condamnations pour ces crimes.
Au confluent de l’Inde, du Bangladesh, du Népal et du Bhoutan, le Bengale occidental est l’une des plaques tournantes des trafics.
Plus de 50 000 jeunes femmes, dont un quart de mineures, sont portées disparues dans ce seul État, en tête des statistiques nationales en la matière. La plupart ont été enlevées pour alimenter des réseaux de travail forcé ou de prostitution.
Zarin (prénom modifié) avait 16 ans et travaillait dans un atelier de confection de Calcutta quand ses parents lui ont annoncé qu’ils allaient la marier.
« Je leur ai dit non, que j’étais encore trop jeune », se souvient la jeune femme.
Envoyée par sa famille dans la région du Cachemire pour, lui a-t-on dit, voir sa sœur, Zarin a été alors prise en charge par un homme.
C’est là qu’elle a compris, un jour où elle avait refusé de prendre le repas qu’il droguait, qu’elle avait été vendue à un proxénète.
« J’ai vu trois ou quatre hommes entrer dans la pièce », décrit-elle. « Ils m’ont battue et m’ont agressé sexuellement […] ces souvenirs sont encore très douloureux à évoquer ».
La jeune femme, qui a fini par échapper à ses « gardiens », pense avoir été « vendue » quelque 4770 $.
« Manque de soutien »Le dernier rapport annuel du département d’État américain sur les trafics d’êtres humains a noté les « progrès significatifs » accomplis par l’Inde en la matière, mais constaté que leur éradication était encore un objectif très lointain.
« Les trafiquants exploitent sexuellement des millions de personnes en Inde », note le rapport, qui décrit notamment des « mariages arrangés en Inde et dans les pays du Golfe (arabo-persique) » pour alimenter les réseaux.
PHOTO DIBYANGSHU SARKAR, AGENCE FRANCE-PRESSE
Parmi les victimes, un « nombre significatif » de Népalaises et de Bangladaises attirées par de fausses promesses d’emploi, via les réseaux sociaux ou les applications de rencontres.
Fondatrice de l’ONG Impact Dialogue Foundation, qui encadre les survivantes, Pallabi Gosh assure que seule une partie des victimes sont recensées.
« Une fois que la jeune femme est sauvée », explique-t-elle, les familles souvent « ne portent pas plainte […] par peur de la stigmatisation ».
« Parfois, les proches se raccrochent à l’idée qu’une mineure a été mariée à une famille plus riche et que leur responsabilité est moindre », ajoute Pinaki Sinha, de l’ONG de lutte contre les trafics Sanlaap.
Beaucoup de ces jeunes femmes, selon ces ONG, sont vendues en paiement d’une dette ou d’un prêt.
Jusqu’en février dernier, Ayesha (prénom modifié) travaillait dans un atelier de confection de la capitale bangladaise Dacca. Un jour, une femme croisée dans un bus lui a proposé un emploi mieux rémunéré en Inde.
En échange d’une somme de 24 000 roupies (395 $), la jeune femme s’est vue promettre un travail dans une manufacture de saris.
« Oublier tout ça »« J’ai volé de l’argent à ma mère et je l’ai donné à mon amie. Je pensais que je pourrais lui rembourser en travaillant », raconte-t-elle.
Mais une fois la frontière traversée, son rêve s’est écroulé. On lui a dit que l’emploi qu’on lui avait promis n’existait plus, mais qu’elle pourrait gagner sa vie en dansant dans un bar.
Ayesha a pris peur et voulu rentrer au Bangladesh. L’homme qui la séquestrait l’en a empêchée.
« Je l’ai imploré de me laisser, je pleurais […] Il n’a pas seulement abusé de moi et arraché mes vêtements, il m’a battue. Il m’a dit que je devais lui obéir sinon il me livrerait à la police ».
Puis un autre homme qui s’est présenté comme un policier l’a agressée à son tour. « Le policier et l’autre homme m’ont violée huit ou neuf fois en l’espace de 18 jours ».
La jeune femme a finalement réussi à prendre la fuite grâce à un voisin et a porté plainte.
« J’ai dit à la police que je voulais que ces deux hommes soient punis », mais ils lui ont répondu que c’était de sa faute si elle avait fait confiance à cette fille.
Ayesha est désormais déterminée à tourner la page et rêve de devenir esthéticienne. « Je veux pouvoir me suffire à moi-même et oublier tout ça ».