Le «moment Obama» de Kamala Harris

25 days ago
Kamala Harris

Shaela Worsley n’avait que 8 ans lorsque Barack Obama est devenu le premier président afro-américain des États-Unis, en 2008. « Je me souviens que je le voyais à la télévision. Je me souviens de l’émotion qui envahissait ma mère. Mais je ne comprenais pas très bien ce qui se passait », dit-elle depuis le parterre de la convention nationale démocrate qui s’est jouée cette semaine à Chicago.

Aujourd’hui âgée de 23 ans, l’étudiante en science politique, la plus jeune membre de la délégation du Kentucky venue célébrer la nomination de Kamala Harris à titre de candidate démocrate à la présidentielle de novembre prochain, dit désormais mieux saisir la puissance du moment.

D’autant qu’elle est en train d’en faire l’expérience elle-même aujourd’hui. « Ce qui se passe avec Kamala Harris m’a ouvert les yeux sur ce que ma mère a vécu avec Barack Obama, dit-elle. Il y a un enthousiasme, une ferveur, une joie que l’on ne pouvait pas imaginer il y a quelques semaines à peine dans la campagne démocrate. Kamala Harris y a ramené l’espoir, la lumière et le sourire. Et c’est électrisant. »

La décision prise il y a un mois par Joe Biden de se retirer de la course et l’entrée en scène de sa vice-présidente pour lui succéder n’ont pas seulement changé la tonalité de la course électorale américaine. Elles semblent aussi avoir permis l’émergence d’un mouvement populaire autour de cette nouvelle candidature, un courant que plusieurs militants démocrates aiment désormais comparer à la vague générée par Barack Obama et sa campagne fondée sur l’espoir d’un changement, dans la foulée des années Bush, qui l’a conduit à la Maison-Blanche.

« Nous sommes même devant quelque chose de plus grand », a laissé tomber Raven Lions, assistante médicale, militante politique et déléguée de la Louisiane à la convention démocrate. « Kamala Harris n’incarne pas seulement une nouvelle vision, mais un changement de génération de politiciens à Washington. Et c’est important pour moi, comme jeune femme afro-américaine et démocrate, d’être ici pour en témoigner. »

Un sondage du Siena College mené entre le 8 et le 15 août pour le compte du New York Times est venu confirmer la capacité de Kamala Harris à infléchir un destin électoral tracé par son prédécesseur vieillissant, dont l’entrée dans un nouveau face-à-face avec Donald Trump n’excitait pas vraiment les foules.

La vice-présidente dépasse de 5 points le populiste dans les intentions de vote en Arizona, à 50 %, et de 2 points en Caroline du Nord, à 47 %, deux États clés pour ouvrir la porte de la Maison-Blanche. Les démocrates y étaient à la traîne avec Joe Biden comme candidat.

À l’échelle du pays, elle devançait vendredi le républicain de 3,6 points de pourcentage dans la moyenne des sondages d’opinion de FiveThirtyEight.com.

Cet engouement, au-delà des chiffres, a fait vibrer toute la semaine les murs du United Center sous les mots « joy » (« joie ») et « forward » (« en avant ») d’une campagne cherchant à se montrer positive pour trancher avec l’aigreur et les insultes de Donald Trump.

« Dans une Amérique divisée, personne n’a été capable à ce jour de percer la loyauté envers Trump », fait remarquer Alain Sanders, politicologue à l’Université Saint Peter, au New Jersey, lorsque joint par Le Devoir. « Elle essaye d’y parvenir en projetant et en promettant un populisme positif — un populisme qui offre de meilleures possibilités et de meilleures conditions de vie quotidienne à la plupart des Américains ordinaires. C’est une manière de rompre avec le populisme négatif de Trump, qui appelle principalement à faire disparaître tout ce que les gens craignent ou n’aiment pas. »

Et elle le fait dans un esprit de communion, dans une excitation palpable et, surtout, dans une unité dont Barack Obama n’avait pas profité en son temps.

« En 2008, le Parti démocrate avait dû surmonter la division entre Obama et Hillary Clinton, qui a lutté jusqu’en juin de cette année-là dans une course à l’investiture serrée », rappelle en entrevue la politicologue Barbara Perry, professeure à l’Université de Virginie. « Or, les démocrates se sont rapidement ralliés derrière Kamala Harris en raison de la manière unique dont elle est devenue candidate. Elle n’a pas eu de concurrence et, surtout, elle n’est pas sortie meurtrie par une longue saison de primaires et de caucus, ce qui change considérablement les choses. »

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Ce texte est publié via notre section Perspectives.

Faire vivre la flamme

Au terme de la grand-messe politique démocrate de la semaine, plusieurs stratèges du parti se demandent désormais si la vice-présidente et son colistier, le gouverneur du Minnesota, Tim Walz, seront capables de soutenir les attentes et de garder vive, jusqu’au jour du vote, le 5 novembre prochain, la flamme qu’ils viennent d’allumer.

« Il peut se passer beaucoup de choses d’ici là », fait remarquer Ed Emerson, un ancien collaborateur de Kamala Harris lorsqu’elle était sénatrice de la Californie, croisé cette semaine dans les couloirs de la convention démocrate. « Maintenir l’espoir vivant jusqu’en novembre ne va pas être facile, surtout face à un Donald Trump qui va durcir le ton et multiplier les coups bas et les insultes pour empêcher sa défaite. »

« L’espoir, c’est ce qui mobilise les troupes et fait aller voter, ce dont les démocrates ont besoin », dit Brandon Lenoir, professeur de communication stratégique à l’Université de High Point, en Caroline du Nord, assis dans un salon du United Center où Le Devoir l’a rencontré cette semaine. « C’est le taux de participation qui va faire pencher la balance. »

« Si, numériquement, il y a plus d’électeurs démocrates que d’électeurs républicains aux États-Unis, les démocrates se rendent plus difficilement aux urnes. […] Pour prendre le temps d’aller voter, il faut être motivé, sentir que l’on se trouve face à deux candidatures réellement différentes », un contraste fort sur lequel l’équipe de Kamala Harris doit continuer de travailler, selon lui.

Cette différence, les démocrates l’ont exposée toute la semaine, non seulement dans l’espoir raconté sur la scène, mais aussi dans la série d’enjeux que les orateurs et les délégués ont promis de défendre : l’accès à l’avortement, la défense des classes moyennes et ouvrières, le respect de la diversité. Et dans la protection de la démocratie face à Donald Trump, avec ses penchants pour l’autoritarisme et sa fascination pour les tyrans. Un message reçu avec délectation par les militants réunis à Chicago.

Un sentiment d’unité

« Nous sommes en train de poser un nouveau jalon dans l’histoire de notre pays avec cette candidature d’une première femme afro-américaine et d’origine asiatique », a dit Raymond Delaney, ex-militaire devenu professeur de justice criminelle à l’Université Southern de La Nouvelle-Orléans et délégué de la Louisiane. « Kamala Harris a un effet fédérateur. Elle n’attire pas seulement le vote des femmes afro-américaines, mais aussi celui des hommes, des progressistes, des syndicalistes, des latinos, des membres de la communauté LGBTQ+, des hindous, des Autochtones… Dans l’histoire de notre pays, c’est un ralliement unique d’intérêts et de cultures variés derrière une candidate. Et cela comprend des gens qui ne votent pas normalement et qui, avec tous les autres, vont nous conduire à la victoire et rien d’autre. »

En Indiana, où elle est conseillère municipale de la petite ville de Chesterton, la démocrate Erin Collins dit ressentir la même ferveur. Le mouvement s’illustre d’ailleurs par le nombre croissant de personnes venant frapper à la porte du parti, depuis quelques semaines, pour prendre part à la campagne. « Quand Joe Biden était là, on ne voyait personne, dit-elle. Et c’est ce qui nous donne désormais l’espoir d’envisager plus facilement une victoire. »

« Cette convention nous laisse avec quelque chose de très encourageant », dit Brenda Brathwaite, ex-directrice d’école et membre de la délégation du Massachusetts à Chicago cette semaine. « Mais nous devons rester prudents face à un Parti républicain qui a démontré sa capacité à interférer avec le processus électoral. Les républicains ont travaillé ardemment depuis leur défaite de 2020 pour modifier les cartes électorales à leur avantage et éloigner le plus grand nombre de personnes possible des urnes. »

Jeudi, la Cour suprême des États-Unis a rejeté une requête des républicains qui visait à empêcher plus de 41 000 électeurs de l’Arizona de voter en novembre prochain. L’État a été remporté par Joe Biden en 2020 par une mince majorité de 11 000 voix. « Ils ne sont pas intéressés par des élections justes. Ils veulent seulement gagner », conclut Mme Brathwaite.

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat- Le Devoir.

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