Le Hamas : une puissance de feu insoupçonnée qui a désarçonné ...

8 Oct 2023

Telle la bile qui remonte inlassablement, le retour à la surface de l’affrontement larvé et permanent entre la branche armée du groupe palestinien Hamas et les forces armées d'Israël était inévitable et annoncé.

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Photo ICI.Radio-Canada.ca

Les guerres et attentats entre ces deux ennemis sont récurrents, avec les deux dernières explosions de violences de l’été 2014 (66 morts israéliens; plus de 2000 morts palestiniens) et du printemps 2021 (14 morts israéliens; plus de 250 morts palestiniens).

Le moment choisi par le Hamas peut s’expliquer par le souci de ramener au premier plan une question palestinienne marginalisée, notamment par le rapprochement diplomatique entre Israël et plusieurs pays arabes, et par le triomphe apparemment définitif – en Israël même – de ceux qui ont mis une croix sur toute entente, sur tout partage territorial avec les Palestiniens.

On peut cependant douter que le moyen choisi par les brigades Al-Qassam permette de susciter de nouvelles sympathies propalestiniennes à l’international. Hormis des messages chinois et russes, qui ne condamnent pas trop directement, ou l’appui enthousiaste de l’Iran et de la Syrie, le Hamas est aujourd’hui dénoncé comme le « groupe terroriste » qu’il est officiellement pour le Canada, les États-Unis et l’ensemble de l’Union européenne.

En Israël, l’attaque a causé un moment de peur et de désarroi – rare face aux Palestiniens – et à Gaza une montée de joie.

Ce qui surprend aujourd’hui, ce n’est ni le retour d’une action armée palestinienne, ni le moment choisi.

C’est plutôt l’ampleur, la synchronisation, la diversité des moyens utilisés par les Brigades Al-Qassam et leurs alliés, dans cette attaque multiforme.

Des roquettes ont été lancées par milliers, ce qui venant de la bande de Gaza est assez connu : mais 5000 en moins d’une journée – chiffre avancé, sujet à caution – c’est énorme. De telle sorte que malgré le fameux Dôme de Fer israélien (défense antiaérienne réputée efficace), un bon nombre ont traversé le filtre et explosé au sol, jusqu’à Jérusalem et Tel-Aviv; sans compter les petites localités frontalières de Gaza, au sud-est d’Israël, inondées de projectiles au petit matin.

Le système antimissile israélien « le Dôme de Fer» intercepte les roquettes lancées depuis la bande de Gaza, vue depuis Ashkelon, dans le sud d'Israël, le 8 octobre 2023.

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Photo ICI.Radio-Canada.ca

Photo : Reuters / AMIR COHEN

Des scènes inimaginables

Mais on a aussi vu des scènes inimaginables, évidemment filmées et diffusées par les bons soins du Hamas : des camions et des tracteurs détruisant de hautes clôtures frontalières, pénétrant un territoire réputé inviolable. Des détachements, allant de quelques dizaines à 200 hommes armés, semant la dévastation dans des villages et prenant des otages par dizaines. On a vu l’utilisation d’avions individuels, des deltaplanes, pour enjamber murs et clôtures.

Du jamais-vu.

Les épisodes précédents – que ce soient des guerres comme celle de l’été 2014, des enlèvements ou des attaques terroristes suivies de représailles d’État – nous avaient habitués à un rapport d’un à dix, voire même d’un à 50, entre les bilans de victimes du côté israélien et ceux du côté palestinien, toujours beaucoup plus élevés.

Pour cette journée funeste du 7 octobre 2023, cinquantième anniversaire de la Guerre du Yom Kippour, on parle de presque 200 morts du côté israélien, civils et militaires confondus (plus des centaines, peut-être des milliers de blessés)… avec des chiffres à peu près équivalents du côté palestinien.

Cette équivalence est proprement inouïe. Bien entendu, ce ne sont là que des nombres pour 24 heures; l’avenir proche fera sans doute – hélas pour les Palestiniens, et pas seulement les combattants – réapparaître des proportions plus familières.

Des Palestiniens prennent le contrôle d'un char israélien après avoir franchi la barrière frontalière avec Israël depuis Khan Yunes, dans le sud de la bande de Gaza, le 7 octobre 2023.

Photo : Getty Images / SAID KHATIB

Dans l’ensemble, le Hamas, infiniment plus doué pour la guérilla et la résistance (Hamas, qui veut dire ferveur ou enthousiasme en arabe, est un acronyme signifiant Mouvement de résistance islamique) que pour la construction et l’administration pacifique d’un territoire, a de quoi célébrer aujourd’hui. Ne viennent-ils pas de faire, ne serait-ce que pour une seule journée, jeu égal avec Israël dans la colonne morbide des morts et des blessés? Dans le seul registre qu’ils connaissent vraiment?

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Photo ICI.Radio-Canada.ca

7 octobre 2023 : un acte de guerre d’une violence et d’une intensité jamais vues, qui a désarçonné pendant plusieurs heures des autorités israéliennes qui ne l’avaient pas vu venir.

Le renseignement israélien déjoué

Comment les islamistes ont-ils pu déjouer ainsi le renseignement israélien? Voilà un mystère qui rappelle de loin les événements du Yom Kippour de 1973, lorsqu’Israël avait été pris totalement par surprise par la Syrie et l’Égypte. Une guerre semi-perdue à l’époque par l’État juif, avec un rétablissement tardif des positions, durant la deuxième semaine du conflit, qui empêcha Le Caire et Damas de crier victoire.

Mais la situation militaire est aujourd’hui très différente : aujourd’hui, Israël domine complètement la région, du haut des airs.

Les services israéliens sont réputés savoir, en temps réel, tout ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie. Que les brigades Al-Qassam, confinées à la bande de Gaza, sous le microscope constant du renseignement israélien, aient pu préparer une telle opération à l’insu de ce dernier, est une véritable énigme. Une énigme doublée d’un choc et d’une humiliation pour le Mossad et le Shin Beth, supposés tout-puissants.

Peut-être y a-t-il un lien avec le fait qu’Israël, à l’interne, est aujourd’hui un pays profondément, férocement divisé, entre les autoritaires d’extrême droite au pouvoir et ceux qui voudraient que ce pays reste libéral et démocratique. Peut-être – simple hypothèse – que des problèmes de communication et de coordination interne, voire des éléments de luttes intestines ou de sabotage, ont-ils pu entraîner un tel cafouillage…

Des manifestants utilisent des fusées éclairantes lors d'un rassemblement contre le plan de réforme judiciaire du gouvernement israélien à Tel Aviv le 12 août 2023. (Photo d'archives)

Photo : Getty Images / JACK GUEZ / AFP

Déjà annoncée par Israël, l’escalade sera terrible. Terrible.

 Nous sommes en guerre!  Nous allons détruire le Hamas!  Telles sont les promesses de Benjamin Netanyahou, un  Monsieur Sécurité  dont la réputation est aujourd’hui éclaboussée du sang de 200 morts israéliens.

Raser Gaza?

Questions qui doivent aujourd’hui tarauder l’armée d’Israël : doit-on aujourd’hui raser la bande de Gaza et ses huit villes, sans égard aux deux millions de civils qui y habitent? Tsahal (nom donné à l’armée israélienne) en a sans doute les moyens. Doit-elle aller jusqu’à réoccuper ce territoire qui avait été évacué en 2005 par l’ancien premier ministre Ariel Sharon?

Une guerre régionale est-elle possible? Ou bien, les hostilités se limiteront-elles, comme par le passé, à Israël et à cette langue de feu palestinienne? Au nord d’Israël, le Hezbollah libanais, autre ennemi juré aux affrontements périodiques, va-t-il se mettre de la partie? On sait que le Hamas sunnite, comme le Hezbollah chiite, sont des clients de l’Iran. Le Hamas est-il téléguidé par Téhéran, au point que la décision d’attaquer ne serait pas la sienne ? Douteux, mais pas impossible.

Quelles conséquences diplomatiques sur la normalisation entre Israël et plusieurs pays arabes? Le dernier en date était l’Arabie saoudite, et les signes se multipliaient d’un rapprochement pouvant mener à une reconnaissance mutuelle entre Ryad et Jérusalem. Mais les princes saoudiens, contrairement à d’autres leaders arabes qui n’ont pas hésité à jeter les Palestiniens par-dessus bord pour signer avec Israël, s’étaient gardé une petite gêne par rapport à cet abandon souvent perçu comme une ignominie.

En attaquant Israël avec une violence inouïe dont on ne le croyait pas capable, le Hamas envoie un appel du pied au monde arabe, l’adjurant de ne pas céder aux sirènes israéliennes et affirmant que la Palestine existe toujours.

Sera-t-il entendu?

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