La France en campagne électorale, entre angoisse et confusion

12 days ago

Une campagne éclair de deux semaines vient de commencer en France, officiellement lancée au matin du lundi 17 juin par la fin des mises en candidatures, la veille au soir. Il s’agit de renouveler l’Assemblée nationale et ses 577 sièges, résultat de la décision surprise, au soir des élections européennes du 9 juin par le président Emmanuel Macron, de dissoudre un parlement pourtant élu à peine deux ans plus tôt. Premier tour le 30 juin, second tour le 7 juillet.

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Photo ICI.Radio-Canada.ca

La campagne démarre forcément sur les chapeaux de roue, avec 14 jours au total et des acteurs tous pris par surprise. Des milliers de candidats – entre cinq et dix par circonscription – se sont lancés sans avertissement dans une campagne à laquelle aucun ne s’attendait, huit jours plus tôt.

Beaucoup d’entre eux y vont à reculons, dans un climat de tension et de confusion au sein de plusieurs camps politiques. Avec des attentes, un degré d’optimisme ou de pessimisme, et une mobilisation des troupes qui varient énormément selon les partis en présence.

Nette avance du Rassemblement national, selon les sondages

Le favori des sondages – et le camp le plus stable à l’interne – est sans conteste le Rassemblement national de Marine Le Pen, l’ex-Front national fondé par son père Jean-Marie Le Pen dans les années 1970.

C’était à l’origine, et clairement, un parti de l’ultradroite nostalgique, fascisante, colonialiste et brutale. Il a beaucoup évolué, surtout depuis que la fille a remplacé le père au début des années 2010, vers un parti nationaliste, de droite conservatrice, hostile à l’immigration, méfiant face à l’Europe.

Son appellation d’extrême droite est contestée par les premiers intéressés, mais utilisée et même martelée par ses adversaires des deux autres camps principaux : la gauche réunie sous l’étiquette Nouveau Front populaire et les centristes réunis autour du parti Renaissance d’Emmanuel Macron.

Marine Le Pen, cheffe du Rassemblement national, faisait campagne dans le nord de la France le 14 juin.

Photo : Reuters / Sarah Meyssonnier

Le RN est mené pour la campagne des législatives – comme il l’était pour la campagne des européennes – par Jordan Bardella. Cet homme de 28 ans, qui n’a jamais occupé de poste électif important, est président du parti. Il est devenu l’indiscutable numéro deux politique de la formation, le lieutenant de Marine Le Pen.

Il a commencé sa campagne en déclarant que pour gouverner, j’ai besoin d’une majorité absolue. Dans une intervention à la radio, interpellé au téléphone par une immigrante non naturalisée qui lui demandait Qu’est-ceque je vais devenir si vous prenez le pouvoir?, il a répondu : Si vous travaillez, si vous respectez la loi, si vous payez vos impôts, vous n’avez absolument rien à craindre.

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Des troupes présidentielles sous le choc

Les troupes du président Macron sont toujours sous le choc après l’annonce de cette campagne express. Même les ministres de Macron, y compris le premier ministre Gabriel Attal, n’avaient pas été avertis avant cette soirée du 9 juin. La situation est très difficile pour le camp présidentiel; beaucoup craignent d’aller au massacre et de perdre leur job.

Renaissance, avec deux petits partis alliés pour soutenir depuis sept ans l’aventure politique d’Emmanuel Macron, avait récolté 250 sièges en 2022 : ce qu’on appelle curieusement en France une majorité relative (alors qu’ils’agit tout simplement d’un gouvernement minoritaire).

Cinq ans plus tôt, aux législatives de 2017, le jeune loup Macron avait conquis la présidence et l’Assemblée nationale avec une majorité absolue de 361 députés. Mais sa cote a énormément baissé depuis et la désillusion est amère. Le parti a eu des résultats catastrophiques à l’élection européenne du 9 juin : moins de 15 %, par rapport à presque 32 % pour le Rassemblement national.

Ce parti, dont les troupes sont aujourd’hui poussées au combat, forcées de le faire, sans l’avoir voulu et sans préparation n’aura finalement des candidats que dans 489 circonscriptions sur 577.

Signe du découragement dans les rangs présidentiels : au premier jour de la campagne, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et poids lourd du gouvernement de Gabriel Attal, a osé déclarer : C’était la décision d’un seul homme. Elle a créé dans le pays de l’inquiétude, de l’incompréhension, parfois de la colère.

Que le président ferme sa gueule!

Et puis, il y a cette scène filmée, ce même 17 juin en banlieue de Paris, symbolique du rejet qu’inspire Emmanuel Macron, sept ans après son accession au pouvoir.

On y voit le premier ministre Attal – presque aussi jeune que son adversaire principal, à 35 ans – se faire interpeller par un passant : Il faudra dire au président qu’il ferme sa gueule. Vous, vous êtes bien, mais lui, alors!

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Réponse d’Attal : On vote pour le premier ministre, on compte sur vous contre les extrêmes.

Le premier ministre de la France, Gabriel Attal, quitte l’Élysée à la suite de la réunion hebdomadaire du conseil des ministres le 12 juin 2024.

Photo : Reuters / Abdul Saboor

Le danger des extrêmes s’annonce comme un thème central de la campagne du parti de MM. Macron et Attal. Ce slogan vise évidemment le Rassemblement national, mais aussi l’extrême gauche.

Cette extrême gauche, en 2024, est identifiée clairement à La France insoumise (LFI). Une formation qui participe, sous l’étiquette du Nouveau Front populaire, à l’élection avec une candidature unique dans les 577 circonscriptions – opération électorale menée de concert avec le Parti socialiste, les Verts et le Parti communiste, qui n’est plus aujourd’hui qu’un groupuscule, après avoir été un parti majeur en France entre 1945 et 1990.

Que fait le Parti socialiste avec La France insoumise?

Beaucoup d’observateurs reprochent au Parti socialiste, clairement recentré aux européennes avec son leader modéré Raphaël Glucksmann, auteur d’un résultat respectable avec presque 15 % le 9 juin, de s’être abaissé – selon la droite et selon les pro-Macron – à une telle alliance avec LFI.

Le parti de Jean-Luc Mélenchon est régulièrement taxé de sectarisme, de communautarisme, de complaisance envers l’islamisme, de virulence anti-israélienne frisant l’antisémitisme, d’irréalisme économique, sans compter un autoritarisme interne assez brutal.

Des passants marchent devant un graffiti qui invite les électeurs à ne pas voter pour le Rassemblement national, le parti mené par Marine Le Pen.

Photo : Reuters / Benoit Tessier

La direction du parti a par exemple bloqué les candidatures de quatre députés sortants qui avaient osé critiquer les méthodes internes du leader, ces deux dernières années. Plusieurs d’entre eux ont décidé de rester quand même candidats.

Par ailleurs, il y a des socialistes indépendants qui ont carrément refusé de se tasser dans leur circonscription au profit d’un candidat ou d’une candidate LFI.

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Photo ICI.Radio-Canada.ca

Cela montre que la prétendue stratégie du désistement préventif et de la candidature unique à gauche va souffrir de plusieurs exceptions.

Trois blocs principaux

Que disent les premiers sondages? Une enquête de la firme Opinionway, diffusée le 16 juin, répartit en trois blocs assez nets les intentions de vote au premier tour : Renaissance à 20 % (supérieur au résultat des européennes, mais toujours bas pour un parti présidentiel); le Nouveau Front populaire à 25 % (un peu en dessous de toutes les gauches réunies, qui vaudraient aujourd’hui en France 32 %, 35 % au maximum).

Et puis, au-dessus de tous les autres : le Rassemblement national surplombe le panorama avec 33 %, une constance assez remarquable. Tous les sondages effectués avant les élections européennes avaient donné le RN dans la fourchette 30 à 33 % : il a eu 31,5 %. Ce vote se maintient et on ne peut plus le qualifier, en 2024, de simple vote de protestation.

Un tiers des Français disent aujourd’hui qu’ils ne veulent plus – ou veulent beaucoup moins – d’immigration, regardent avec méfiance l’Europe et ses pouvoirs (réels ou supposés) tout en aimant les généreuses promesses de type socialisme redistributif que fait le Rassemblement national.

Le RN qui, en matière économique, ressemblerait plutôt à La France insoumise! Cette irresponsabilité économique et fiscale est d’ailleurs dénoncée par Emmanuel Macron et Gabriel Attal, qui chiffrent les promesses irréalistes de l’extrême gauche et de l’extrême droite… entre 100 et 400 milliards d’euros.

Un sondage ultérieur de l’institut IFOP, au soir du 17 juin, donne Renaissance en tassement à 18 %, la gauche en croissance à 28 %. et le RN toujours à 33 %.

Atmosphère de fin de règne

Le second mandat du président français Emmanuel Marcon est officiellement encore valide pour presque trois ans. (Photo d'archives)

Photo : Getty Images / Ludovic Marin

Une question pour finir : est-ce que le président va se mêler des élections ou est-ce qu’il va suivre le conseil de cet électeur de la banlieue parisienne qui lui recommandait de se la fermer?

Le journal Le Figaro – dont l’éditorial du 18 juin est intitulé « La dissolution hara-kiri d’Emmanuel Macron » – évoque la solitude du président à l’Élysée, des troupes tétanisées, voire paniquées, entre effarement et incompréhension et qui ne veulent surtout pas voir ou entendre leur verbomoteur en chef au cours des deux prochaines semaines.

Extrait de ce reportage : Je ne le reconnais plus, s’alarme l’un des fidèles de la première heure. Je peux comprendre la mécanique intellectuelle qui a conduit à la dissolution, son sentiment d’être entravé. Mais le faire maintenant, à la veille des Jeux olympiques, ça fout un bordel monstrueux et ça offre une tribune aux extrêmes.

Le même texte du Figaro évoque une atmosphère de fin de règne à l’Élysée. Pourtant, le second mandat du président est officiellement encore valide pour presque trois ans.

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