Musk déroule le tapis rouge à Trump sur X
Donald Trump a effectué lundi soir un grand retour sur la plateforme X, autrefois Twitter, en accordant une entrevue à son président Elon Musk. Un entretien un brin chaotique qui a ressemblé à un échange de bons procédés entre deux multimillionnaires aux idées tapageuses et résolument marquées à droite.
La rencontre virtuelle, qui était suivie par plus d’un million d’auditeurs, a démarré avec une quarantaine de minutes de retard en raison de ce que Musk a qualifié de « cyberattaque massive ».
La conversation à bâtons rompus entre les deux hommes s’est amorcée autour de la tentative d’assassinat à laquelle a survécu Donald Trump en juillet, avant de prendre des allures de diatribe anti-immigration.
Trump a notamment promis « la plus grande déportation de l’histoire du pays » s’il était élu le 5 novembre prochain en ciblant les immigrants illégaux, dont plusieurs sont, selon lui, des « meurtriers, des violeurs et des terroristes ».
Face à Elon Musk, qui acquiesçait à la plupart de ses propos, il s’est également attaqué au bilan de l’administration Biden et à son opposante Kamala Harris. L’ancien président s’est d’ailleurs refusé à appeler la candidate démocrate par son nom, se contentant de l’appeler « elle » pour la majorité de la discussion.
« Elle est plus incompétente que lui [Biden], ce qui en dit beaucoup parce qu’il n’est pas très bon », a-t-il noté.
Le candidat républicain a d’ailleurs qualifié le choix de Joe Biden de laisser sa place à Kamala Harris dans la course à l’investiture démocrate de « coup d’État ».
« Il ne voulait pas partir, mais on l’a forcé », a-t-il estimé, qualifiant au passage Biden de « pire président de l’histoire ».
En annonçant l’événement, Elon Musk avait promis un moment « très divertissant », « sans scénario prédéterminé, sans limite sur les sujets abordés ». La rencontre a plutôt été mobilisée par l’agenda électoral du candidat Trump.
« Si j’avais été en poste lors des quatre dernières années, il n’y aurait pas eu d’attaques contre Israël, pas de guerre en Ukraine, pas d’inflation, pas d’effondrement en Afghanistan », a-t-il affirmé, avant de clamer que « la plus grande menace sur Terre n’est pas le réchauffement planétaire », mais la menace nucléaire en provenance de la Chine, de la Russie et de l’Iran.
Retour par la grande porteConnu pour ses tweets retentissants lancés à toute heure du jour ou de la nuit et repris en masse par les médias d’information, le candidat républicain était inactif sur le réseau social depuis plusieurs années.
Il avait d’abord été banni du média au petit oiseau bleu dans la foulée de l’assaut contre le Capitole de Washington en janvier 2021.
Le rachat par Musk de Twitter en octobre 2022 a permis le retour en grâce de l’ancien président sur la plateforme. Mais depuis, contrairement à ses habitudes, Donald Trump s’y est fait très discret. Sa seule publication avant lundi : sa photo d’identité judiciaire (mugshot) prise en août 2023, lors de son arrestation en Géorgie, où il est soupçonné d’avoir tenté de renverser les résultats locaux de l’élection présidentielle de 2020.
Il faut dire qu’entre-temps, l’homme d’affaires a lancé son propre réseau social, Truth Social, présenté comme une alternative à Twitter, mais aussi à YouTube et Facebook, dans lequel il a investi une partie de ses avoirs.
Le grand retour de Donald Trump sur X peut être interprété comme la convergence des intérêts du candidat républicain et du propriétaire de la plateforme. Le candidat républicain y retrouve un vaste auditoire acquis à sa cause pour redonner du souffle à sa campagne qui bat de l’aile, alors que Musk y voit une nouvelle source de revenus et un allié pour propager ses idées radicales.
« Mon interprétation, c’est qu’Elon Musk tend une perche à Trump pour qu’il redevienne plus actif sur les plateformes sociales, qu’il semble avoir délaissées, alors que l’équipe de campagne de Kamala Harris a vraiment fait un bon travail sur les réseaux sociaux », a fait valoir Laurence Grondin-Robillard, professeure associée à l’École des médias de l’UQAM, interviewée avant l’entretien Trump-Musk.
Donald Trump est suivi par 88 millions d’abonnées sur X, un auditoire qui est 10 fois plus important que sur Truth Social. Le compte d’Elon Musk, qui a hébergé l’entrevue lundi soir, compte, lui, plus de 193 millions d’abonnés.
L’équipe de Trump n’a d’ailleurs pas manqué d’utiliser la rencontre pour solliciter des fonds.
« C’est la plus grande entrevue de l’histoire et maintenant, nous vous demandons d’en faire la plus grande journée de collecte de fonds jamais organisée par le président Trump », a écrit son équipe de campagne dans un message envoyé sur X en journée.
Le retour de Donald Trump représente aussi une opportunité d’affaires intéressante pour Musk, qui peut voir dans la sphère politique un moyen de générer des revenus supplémentaires.
Depuis 2023, la direction de X permet à nouveau l’achat de publicité par les partis politiques, chose que l’ancien président Jack Dorsey avait interdite dans la foulée d’accusation de désinformation. Or, plusieurs annonceurs ont récemment déserté la plateforme après certaines publications controversées (notamment à saveur antisémite) de Musk.
« Les candidats ont tout intérêt à se payer de la publicité en ligne pour aller chercher un nouvel électorat. En ouvrant la voie aux publicités politiques, Musk peut aller chercher de nouveaux revenus publicitaires », pour compenser ceux qu’il a perdu, indique Mme Grondin-Robillard, spécialiste des médias sociaux.
Virage à droiteEn plus de leurs millions de dollars, les deux hommes partagent une certaine connivence intellectuelle.
Ils se sont rencontrés en mars dernier et se parlent depuis régulièrement au téléphone, selon le Wall Street Journal. Un rôle de conseiller pour le magnat de la tech serait même en discussion si l’ancien président retrouvait les clés de la Maison-Blanche.
Identifié d’abord aux démocrates – il a appuyé Hillary Clinton en 2016 — Musk affiche depuis quelques années des idées de plus en plus campées à droite. Entre deux clichés documentant les progrès des fusées de son entreprise Space X, l’homme d’affaires d’origine sud-africaine partage régulièrement des publications anti-immigration et « anti-woke ».
Il a également annoncé récemment que les sièges sociaux de X et Space X quitteraient bientôt la Californie pour le Texas, invoquant l’adoption récente d’une loi californienne protégeant les enfants trans.
En juillet, il a affiché publiquement son support à Donald Trump dans la foulée de la tentative d’assassinat à son endroit. Le Wall Street Journal rapportait récemment que Musk s’était engagé à verser 45 millions $ par mois à un comité politique (America PAC) voué à la réélection du candidat républicain.
Le milliardaire de 53 ans a démenti vouloir donner des sommes aussi importantes, évoquant des niveaux « bien plus bas ».
« Ses fans et ses abonnés ont toujours été de droite de façon générale, mais il semble de plus en plus pencher vers l’extrême droite dans ses commentaires, observe Laurence Grondin-Robillard. En tout cas, il s’éloigne à grande vitesse de l’image qu’on a des démocrates, surtout celle incarnée par Kamala Harris et Tim Walz. »
Un tel rapprochement entre un magnat des médias et un candidat à la présidence est-il inquiétant pour la démocratie américaine ?
« Les républicains ne vont pas gagner l’élection simplement parce qu’Elon Musk a décidé que Donald Trump était son poulain, tempère Mme Grondin-Robillard. Si on s’informait seulement sur X ce serait problématique, parce qu’on pourrait craindre qu’on empêche la libre circulation des publications de l’équipe de Kamala Harris, mais comme on a d’autres plateformes d’informations, souvent plus populaires que X, je suis plus ou moins inquiète à ce niveau-là. »
Avec l’Agence France-Presse