«Pourquoi il faudrait tous parler de la même façon?»
C’est la sympathique bouille barbue de Jacques Surette, en direct de la Nouvelle-Écosse, qui apparaît la première à l’écran. « Je suis à Yarmouth, ma ville natale. Je suis dans ma living room », note-t-il en jetant un regard sur la pièce derrière lui. Puis apparaît la grande dame de Paquetville, l’une des plus francophiles artistes néo-brunswickoises, l’unique Édith Butler. En voyant le jeune musicien avec qui Le Devoir l’avait invitée à échanger dans le cadre du Coup de coeur francophone, elle affiche un large sourire. « J’avais reconnu l’accent ! » rigole-t-elle, installée dans sa maison des Cantons-de-l’Est.
L’accent, c’est toujours relatif à l’autre, mais disons que Surette possède un solide phrasé typique des environs de la baie Sainte-Marie, où les chiens sont des « chionnes » et le pain du « ponne », par exemple. Le musicien, qui a fait paraître son troisième disque de chansons folk en 2023, intitulé Conséquences, est capable de créer une triple rime dans ce titre de chanson : Quoisse qui brasse dans la sauce — à prononcer « sâsse ».
Édith Butler, 82 ans, ouvre les bras de bonheur en entendant discourir Jacques Surette, 24 ans. Elle le connaît déjà, lui qui a récemment gagné le prix… Édith-Butler, remis par la Société professionnelle des auteurs et compositeurs du Québec. « J’ai écouté sa musique, j’ai adoré ça. Parce que lui, il parle de son coin de pays. Il parle de la Baie comme moi je parle de Paquetville. Il parle son langage comme moi je parle le mien. Et il est fier de parler sa langue, de parler son vieux français, de parler avec son accent. »
La papesse acadienne, qui donne samedi à Montréal un des derniers concerts de la tournée de son excellent disque Le tour du grand bois, prêche pour que la langue de Surette soit mise en valeur et non pas mise de côté. « Cette langue-là, qui est extraordinaire, c’est le vieux français. C’est le français de Rabelais, de Montaigne, d’Henri IV. C’est un trésor, c’est un trésor qu’ils ont gardé. Il faut le dire. Il faut que le monde sache ça. Faut pas avoir honte de ça. C’est le contraire. Il faut les écouter. Écoutez ça. Pourquoi il faudrait tous être uniformes et tous parler de la même façon et dire les mêmes mots ? »
Photo: Jocelyne Vautour Le musicien acadien Jacques Surette, sera en spectacle au Coup de coeur francophone.
Jacques Surette a beau être jeune, il connaît bien le contexte dans lequel il se présente au monde. Déjà, son père, Éric, était musicien, comme le rappelle Mme Butler, qui écoute sa pièce Anne « à tous les soirs » — elle nous l’a même envoyée par courriel. « Quand le monde arrive, des Québécois, ou n’importe qui, même des anglophones, ils écoutent ça et ils comprenions point exactement ce qu’on dit, concède Jacques Surette. Mais tu sais, la mélodie a une émotion, puis il faut vraiment que tu sois conscient de tout ce qui se passe. Il y a un mur à traverser, but it’s breakable. »
Devant le public, Surette prend parfois le temps d’expliquer avec humour certaines approches phonétiques, comme une main tendue au spectateur, qui pourra plus aisément faire tomber le mur. Mais Édith Butler insiste : « C’est pas à lui de faire des efforts pour faire comprendre sa langue. C’est au public d’ouvrir ses oreilles puis d’aller plus large. »
L’interprète d’Asteure qu’on est là et de La 20 a vu les derniers mois de sa carrière se dérouler beaucoup sur le thème de la langue, justement. Elle a récemment signé un beau texte dans l’ouvrage collectif Ta langue !, dirigé par David Goudreault, en plus de participer au disque Esstradinaire Esstradivarius de Maxime Auguste autour de Marc Favreau et de son génie linguistique.
Même son spectacle actuel — « le meilleur spectacle que j’ai fait, vraiment, dans toute ma vie » — est enraciné dans le thème de la langue. « Toutes les histoires que je raconte entre les chansons, c’est par rapport à ça. Autant l’ancienne langue que certaines langues du Québec ou la langue française de France ; comment ça se fait qu’ils ne nous comprennent pas ? Toutes les histoires que je raconte entre mes chansons sont drôles et les gens n’y croient pas ! Mais ce sont des histoires vraies que je raconte ! »
Les deux artistes font partie de la programmation du Coup de coeur francophone, qui cette année fait une belle place aux Acadiens de tout acabit — dont BAIE, Maude Sonier, Chris Belliveau, Écarlate et Julie Aubé. Jacques Surette est encouragé par cette présence, qui reflète selon lui la vigueur de cette scène qui s’émancipe de plus en plus.
« Je trouve qu’il y a plusieurs différentes fleurs qui ont poussé, dit celui qui joue le 15 novembre à l’Esco. Il y a toutes sortes de différents artistes qui sont en train d’émerger dans la scène. Je crois que c’est une grosse boule de neige qui est en train de rouler dans toutes sortes de différentes versions du français. »
Édith Butler se réjouit de voir cette prolifération de nouveaux venus, « parce que pendant des années, des années, des années, j’étais toute seule. Je ne voyais pas de relève venir. Puis là, à un moment donné, depuis une couple d’années, c’est comme des champignons. T’as beau en enlever un, l’autre pousse après. C’est plein, c’est plein. »
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir La papesse acadienne prêche pour que la langue de Surette soit mise en valeur et non pas mise de côté.
Elle place en pionnière Marie-Jo Thério, puis une deuxième vague, avec notamment Lisa LeBlanc et Radio Radio, a permis à d’autres de « s’accrocher à ça », comme Les Hay Babies. « Tout le monde, tous les Acadiens de toutes les origines et de toutes les places se sont mis à dire “Écoute, si eux autres n’ont pas honte de parler leur langue, pourquoi nous autres, on ne le ferait pas ?” » analyse Mme Butler.
« Dans le passé, quand les Acadiens se rendaient à Montréal ou à Québec, c’était vraiment un drôle de bruit qui rentrait dans les oreilles de ce monde-là, raconte Surette. Au jour d’aujourd’hui, il y a beaucoup de choses qui se font de plus en plus accepter. Ça va rien que dans une bonne direction. »