«Dune: Prophecy»: les coulisses du pouvoir
Après que l’humanité a vaincu les machines, l’univers est régi par un empereur et une poignée de grandes maisons ayant chacune un régent : l’Imperium. Or, ces hommes de pouvoir ont toujours à leurs côtés, pour les conseiller, une « diseuse de vérité » du Bene Gesserit. Ce positionnement privilégié permet à cette sororité d’exercer, en coulisses, une influence politique et religieuse énorme. Valya Harkonnen est la mère supérieure du Bene Gesserit. Tula, sa cadette, y est révérende mère. Elles sont les figures de proue de la série Dune: Prophecy (Dune. La prophétie). Lors d’une conférence virtuelle à laquelle Le Devoir a été convié, leurs interprètes, Emily Watson et Olivia Williams, ainsi que la directrice de la série, Alison Schapker, ont parlé de cet ambitieux projet.
Considérant le succès critique et populaire des films Dune: Part One (Dune) et Dune: Part Two (Dune. Deuxième partie), de Denis Villeneuve, dire que la série Dune: Prophecy est attendue tient de l’euphémisme. L’intrigue est en partie basée sur le roman Sisterhood of Dune (La communauté des soeurs), de Kevin J. Anderson et Brian Herbert, le fils de Frank Herbert, auteur de Dune. L’action de Dune :Prophecy est campée 10 000 ans avant celle de Dune.
« Dans le roman, on examine la montée du Bene Gesserit, de même que l’histoire de la deuxième mère supérieure, Valya Harkonnen, et de sa soeur, Tula Harkonnen, résume Alison Schapker. Dans la portion de la série qui se déroule durant cette période, nous montrons donc l’éducation de Valya et comment elle est arrivée à la sororité. Sauf que nous nous intéressons à toute la vie de Valya. Ainsi, au cours d’une autre période, nous la suivons dans sa vie de femme qui a accru le pouvoir de la sororité, qui est aux commandes de celle-ci, mais qui fait face à une crise. Nous allons et venons entre ces deux périodes : celle qui nous lie de près au livre, et celle que nous avons créée — en collaboration avec la succession Herbert, et avec beaucoup de soin et de respect quant à la construction du monde de Dune telle qu’elle est dans les romans. C’était excitant d’avoir cette marge de manoeuvre pour la télévision. »
À titre indicatif, Alison Schapker a été par le passé scénariste, consultante ou productrice pour une pléthore de séries connues, souvent de science-fiction, comme Lost (Perdus), Fringe, Almost Human, Westworld et Altered Carbon (Carbone modifié).
Deux soeurs redoutablesRévélée autrefois dans Breaking the Waves (L’amour est un pouvoir sacré), la toujours excellente Emily Watson incarne la très respectée et très crainte (à raison) Valya Harkonnen. Veillant sur le corps et l’esprit des toutes jeunes femmes qu’on lui confie, et les aidant à développer d’impressionnantes facultés extrasensorielles, Valya n’en est pas moins prête à sacrifier certaines d’entre elles, dès lors que son vaste plan l’exige. Un plan complexe, tissé comme une toile d’araignée…
« Il y a un passage dans le volet passé où on découvre pourquoi le coeur de Valya s’est glacé, confie Emily Watson au sujet de son fascinant personnage. Et tout ce qu’elle fait ensuite est alimenté par la rage et un désir de vengeance. Et puis, jeune, elle a été repérée par une cheffe de secte charismatique, qui lui a en somme dit : “Je te vois, tu es très puissante, très spéciale, très talentueuse : viens m’aider à façonner l’avenir de l’humanité.” Et c’est une chose à la fois incroyablement habilitante et incroyablement dangereuse à dire à une personne qui a probablement dans son ADN quelque chose du requin. »
Consciente de l’implacable résolution de Valya, Tula fait d’abord figure d’alliée fidèle et de facilitatrice. Seulement voilà, Tula vit des tourments émotionnels du genre de ceux dont son aînée s’est coupée, et les complications qui en résultent ne font pas partie des fameux desseins de Valya.
Au sujet de son personnage de Tula, qui est tout aussi redoutable que Valya, Olivia Williams note : « Je pense que le secret, quand vous jouez une soeur cadette dont la soeur aînée a occupé la position “pleine de bruit et de fureur”, c’est que vous intériorisez et réprimez en vous votre rage ; vous la gardez silencieuse. Mais, comme on le sait, il faut se méfier de l’eau qui dort. »
D’ajouter la vedette de Rushmore, The Sixth Sense (Le sixième sens) et Maps to the Stars (La carte des étoiles) : « Un autre aspect de Tula, c’est qu’elle est une passionnée de sciences, et donc, elle trouve des manières extrêmement efficaces, silencieuses et propres d’éliminer ses ennemis. Elle possède aussi une douceur… Elle est troublée par sa conscience. Mais est-ce que ça fait de vous une meilleure personne si vous pleurez pendant que vous tuez des gens ? »
L’équilibre des pouvoirsPour définir une partie des motivations du Bene Gesserit, Emily Watson raconte une anecdote révélatrice, dressant ce faisant un intéressant parallèle entre le passé tel qu’on le connaît et le futur imaginé dans la saga Dune.
« Lorsque nous avons su que nous avions les rôles, Olivia et moi sommes allées à la National Portrait Gallery de Londres et nous sommes assises devant les portraits d’Élisabeth Ire, de Marie, reine d’Écosse, de Marie Ire d’Angleterre — Marie la sanglante —, de Lady Jane Grey ; bref, de toutes ces femmes ayant vécu à cette époque terrifiante de l’histoire britannique où l’État était réellement policier. Et où tout le monde voulait te tuer ou t’épouser. »
« Ou les deux », intervient Olivia Williams, sourire en coin.
« Ces deux éléments étaient une voie vers le pouvoir, poursuit Emily Watson. Mais l’idée reçue selon laquelle il s’agit d’une époque glorieuse de l’histoire anglaise est entièrement due au fait que le discours était totalement orienté. Et c’est ce que font les femmes du Bene Gesserit. Elles disent : “Nous pouvons discerner la vérité et les mensonges, mais c’est aussi une marchandise. Nous pouvons planter des histoires. Nous pouvons faire croire aux gens qu’ils sont aux commandes, alors que nous sommes aux commandes, ou en train de miner leur pouvoir. Nous pouvons simuler des attaques et faire toutes sortes de choses qui modifieront l’équilibre des pouvoirs.” Il y a là de nombreux parallèles avec la manière dont fonctionne la politique aujourd’hui. Et je trouve ça fascinant. »
Produite à grands frais par Legendary et Warner Bros. pour la plateforme HBO, la série Dune : Prophecy poursuit le déploiement sur les écrans tous azimuts de la saga littéraire Dune, après le triomphe des deux films de Denis Villeneuve. D’ailleurs, un autre Québécois, le directeur photo Pierre Gill, est l’un des collaborateurs clés de cette opulente production. La focalisation privilégie la mère supérieure du Bene Gesserit, Valya Harkonnen, et sa soeur, Tula Harkonnen. Toutes deux fomentent la conception d’un être suprême qui serait vénéré par tous, mais qui serait dirigé par la sororité ayant des éminences grises dans toutes les nobles maisons de l’univers. Au gré des quatre premiers épisodes visionnés, on reconnaît une construction semblable à celles d’autres succès de HBO, comme Rome et Game of Thrones (Le trône de fer). De fait, le contexte a beau être différent, il reste qu’ici aussi, on suit différentes factions désirant davantage de pouvoir, voire une domination. On va d’un clan à un autre, d’un complot à un autre, ces sous-intrigues semblant vouloir n’en former qu’une le moment venu. La dimension feuilletonesque maintient l’intérêt. Visuellement, l’ensemble s’avère d’excellente tenue pour le format, mais il est entendu qu’on n’atteint jamais la magnificence des films de Villeneuve. Dans les rôles principaux, Emily Watson et Olivia Williams sont formidables.