« La plupart des caïds, ce sont des gens qui ont de gros ego, qui ont fait leur carrière et qui ont monté dans la hiérarchie du monde interlope par l’intimidation. Ces gens-là font leur chemin et deviennent craints justement parce qu’ils intimident. »
En lisant les révélations de La Presse sur le contrat de meurtre visant le reporter Daniel Renaud, Jean-Pierre Charbonneau se doutait bien qu’il serait appelé à réagir. En 1973, l’ancien journaliste d’enquête et ex-président de l’Assemblée nationale a reçu une balle dans le bras en pleine salle de rédaction du Devoir. Le tireur Tony Mucci et ses amis n’appréciaient guère sa couverture serrée du crime organisé.
Lisez « Un “contrat” sur la tête d’un journaliste de La Presse »
Vendredi, la sinistre nouvelle du jour sur notre collègue ne l’étonnait aucunement. « Moi, je ne suis pas surpris, même si on est toujours estomaqué, choqué par ça », a-t-il admis en entrevue.
PHOTO JEAN-YVES LÉTOURNEAU, ARCHIVES LA PRESSE
Les policiers enquêtant dans la salle de rédaction du Devoir après l’attentat contre Jean-Pierre Charbonneau, le 1er mai 1973. Au centre de la photo : Claude Ryan, alors directeur du quotidien.
Pour Jean-Pierre Charbonneau, les temps n’ont pas beaucoup changé depuis qu’il a survécu à l’attentat d’un mafieux contre lui. « Ce n’est pas surprenant qu’on trouve des individus dans ce monde-là qui sont heurtés par les projecteurs de l’actualité et le travail journalistique qui met en évidence leur situation. »
Attention, caïds violentsBien sûr, les criminels en mènent moins large au Québec qu’au Mexique ou en Colombie, où les meurtres de journalistes font presque partie du quotidien. Mais pour Jean-Pierre Charbonneau, les reporters qui couvrent le crime organisé doivent se rappeler que « la violence reste une caractéristique majeure du monde interlope ».
Ça ne veut pas dire qu’il faut abdiquer cette couverture-là, mais il faut être conscient de ce que ça veut dire. Et c’est encore plus vrai quand on fait un journalisme qui n’est pas complaisant avec les caïds.
Jean-Pierre Charbonneau, ancien journaliste d’enquête et ex-président de l’Assemblée nationale
Plus de 50 ans après l’attentat contre sa personne et 24 ans après la tentative d’assassinat des Hells Angels sur Michel Auger dans le stationnement du Journal de Montréal, Jean-Pierre Charbonneau convient que le Québec a connu peu d’évènements violents du genre. « On peut même des fois se demander pourquoi il n’y en a pas eu plus », a souligné l’auteur de La Filière canadienne, un livre sur l’histoire du crime organisé montréalais paru en 2002.
Les menaces qui ont plané contre Daniel Renaud servent aujourd’hui de rappel du caractère « imprévisible » du crime organisé.
« On peut se retrouver pendant des années à avoir des gens qui sont capables de gérer la pression que mettent les médias, et à d’autres moments donnés, on va se retrouver avec des gens que ça rend fous de faire parler d’eux. »
Bref, couvrir le monde interlope, c’est un peu comme couvrir une zone de guerre, estime Jean-Pierre Charbonneau. « Tu as beau avoir des protections, des gilets pare-balles, etc., il y a toutes sortes de choses qui peuvent arriver. »