Entre l'UQAM et le CHUM - Montréal Campus
Ève Duchesne ne vit pas sa vingtaine, elle la survit. À l’âge de 21 ans, l’étudiante à l’UQAM oscille entre ses cours et l’hôpital, où elle fait la guerre à un cancer du sein vorace et inguérissable.
« Le pire, c’est le deuil forcé de ma fertilité […], c’est comme faire le deuil d’un corps que tu n’auras jamais eu la chance d’avoir », confie-t-elle.
Au mois d’octobre, l’ancien partenaire d’Ève sent une masse dans son sein droit. Par précaution, la jeune femme, alors âgée de 20 ans, consulte un médecin qui lui fait passer une échographie. Comme aucun antécédent de cancer n’est répertorié dans sa famille et qu’elle est jeune, le médecin lui donne un rendez-vous de suivi six mois plus tard, ne jugeant pas la biopsie nécessaire.
Après à peine deux mois, Ève retourne consulter. Elle sent que la masse a considérablement grossi. « C’était rendu lourd dans mon sein, donc je suis retournée plus tôt que prévu », indique-t-elle.
À ce moment-là, c’est confirmé: la masse de sept centimètres dans son sein est cancéreuse. Le cancer s’est propagé dans le reste de son corps, plus précisément dans son foie, ce qui en fait un cancer métastatique de stade 4.
« Malheureusement, un cancer du sein de stade 4, ça ne guérit pas, mais ça se traite », précise l’étudiante.
Depuis qu’Ève a eu 20 ans, elle a reçu 18 cycles de chimiothérapie, de l’hormonothérapie, de la radiothérapie et de la médication. Elle a également subi une double mastectomie préventive, soit l’amputation des seins. « Si je me rends à 40 ans, on va sûrement m’enlever mes ovaires aussi. »
Une série de deuilsÀ cause de la maladie, Ève a dû faire une croix sur plusieurs aspirations dans sa vie de jeune femme, notamment celle d’avoir des enfants. Puisque son cancer se « nourrit d’hormones », dit-elle, la jeune femme est ménopausée depuis février dernier. Ce traitement d’hormonothérapie entraîne l’infertilité.
« C’est comme si tu avais le corps d’une femme plus âgée », décrit-elle. C’est une des réalités de la maladie qu’elle juge extrêmement difficile. Elle ne croyait jamais se retrouver impuissante face à la décision de devenir maman ou non.
« J’ai l’impression que tous les gens que j’invite dans ma vie, je leur demande de devenir mes proches aidants, on dirait que mes relations ont une nouvelle tournure que je n’aime pas », constate-t-elle.
Ève expose qu’elle est aussi aux prises avec ce sentiment de dépendre des gens. Elle craint ne jamais pouvoir vivre seule à cause des traitements de chimiothérapie qui ont des effets secondaires dévastateurs sur son corps, comme la fatigue chronique qui perdure sur plusieurs jours suivant l’injection.
«Pour moi, l’idée de vivre seule un jour, c’est vraiment effrayant. »
Ève DuchesneLes effets secondaires de la chimiothérapie affectent beaucoup son apparence. « Un des plus gros défis, même si ce n’en est pas un qui est douloureux, c’est le changement physique », ajoute-t-elle. L’étudiante souligne la difficulté de voir son corps changer en une version d’elle-même qu’elle ne reconnaît pas et qu’elle n’a pas appris à aimer. La perte de ses cheveux et la prise de poids qu’engendre la chimiothérapie, en complément avec l’amputation de ses seins en jeune âge, sont des conséquences de la maladie qui altèrent son sentiment de féminité.
« Je trouve ça tellement injuste. Je comprends que le regard des autres n’est pas important, mais c’est tout ce qu’ils voient et il y a de la pitié dans les yeux des gens », déplore-t-elle.
Le regard des autresÈve se dit reconnaissante d’être si bien entourée, principalement de sa famille. Elle continue d’aller à l’université à temps plein, de s’impliquer dans différents projets et de prendre le temps de vivre ses jeunes années du mieux qu’elle peut.
Anne Hudon, la mère d’Ève, sait que sa fille ne guérira jamais. Elle fait quand même son possible pour aider Ève à vivre une vie remplie de rires, de bonheur et d’amour.
« Je ne le fais pas pour moi, je le fais pour être la meilleure personne pour elle », explique sa mère.
Malgré la bonté des gens qui l’entourent, Ève explique que la solitude qu’elle ressent est psychologique et qu’elle ne s’effacera probablement jamais en entier. « Je me tourne vers les gens qui ont ma maladie, mais elles ont toutes 55 ans, les gens n’ont pas ce type de cancer à 21 ans », ajoute-t-elle.
Elle trouve déchirant de ne pas pouvoir s’identifier aux autres femmes qui ont le cancer du sein, puisqu’elles sont généralement plus âgées: « elles ont eu le temps d’avoir des enfants, d’avoir un métier et de vivre avec leur corps en santé. »
« Tout ce que tu souhaites, c’est de l’avoir [le cancer] à sa place », confie Anne Hudon.
Malgré tout, Ève lutte bec et ongles pour conserver un point en commun avec les gens de son âge: «L’idée de garder l’école, ça me rattache à quelque chose de normal». Elle considère qu’il est primordial de se réaliser en dehors de la maladie et c’est ce que l’université lui permet.
Trouver sa « voix »
Depuis qu’elle a reçu son diagnostic, Ève utilise les réseaux sociaux pour sensibiliser les gens et s’impliquer auprès d’organismes comme la Fondation cancer du sein du Québec. Elle représente d’ailleurs la jeunesse dans la campagne du mois d’octobre 30 ans, 30 voix.
« Je suis tellement fière d’être sa mère », affirme Anne Hudon. Elle et sa famille ont amassé 50 000$ pour la fondation, lors du marathon Beneva en septembre dernier.
Par peur que son histoire ne devienne qu’anecdotique aux yeux des gens qui allaient apprendre la nouvelle sur les réseaux sociaux, Ève a évité d’en faire mention lors des premiers mois suivant son diagnostic. Quelque temps après, elle a cru bon de se lancer: « J’ai réalisé que tout se jouait dans la prévention. » Elle considère désormais que sa voix peut faire une différence et qu’être vulnérable est une force. « C’est de donner une voix à ces femmes-là », explique-t-elle.
Elle dit prendre goût à ce rôle de « cancer-fluencer », que cette implication sur les plateformes numériques donne un sens à toute son aventure. « Je vais le placarder sur un mur. Une biopsie est beaucoup moins encombrante pour le système de la santé qu’un cancer de type 4. »