(Ottawa) C’est une bombe, une vraie : la ministre fédérale des Finances Chrystia Freeland a démissionné du cabinet de Justin Trudeau le jour même où elle devait présenter une mise à jour économique de l’automne. Elle a décidé de jeter l’éponge plutôt que de continuer à participer à ce qu’elle a qualifié d’« astuces politiques coûteuses » dans un climat incertain.
Publié à 9 h 18 Mis à jour à 11 h 49
« Vendredi dernier, vous m’avez dit que vous ne vouliez plus que je sois votre ministre des Finances et vous m’avez proposé un autre poste au sein du Cabinet », révèle Chrystia Freeland dans une déclaration publiée sur les réseaux sociaux lundi matin.
« Après y avoir réfléchi, j’ai conclu qu’à mes yeux la seule voie honnête et viable est de démissionner du Cabinet », tranche-t-elle.
Car « au cours des dernières semaines, nous nous trouvions en désaccord sur la meilleure voie à suivre pour le Canada », souligne Chrystia Freeland.
Et « en prenant votre décision, vous avez clairement indiqué que je ne possède plus [votre] confiance de façon crédible et que je ne possédais plus l’autorité qui l’accompagne », enchaîne-t-elle.
Dans sa lettre de démission, la députée torontoise évoque « le grand défi » que représente la menace de tarifs de 25 % brandie par le président désigné des États-Unis, Donald Trump.
Une menace qu’il faut « prendre au sérieux », insiste-t-elle.
Ainsi faut-il « préserver notre capacité fiscale aujourd’hui pour que nous puissions disposer des réserves dont nous pourrions avoir besoin lors d’une guerre tarifaire », souligne Chrystia Freeland.
« Il faut éviter les astuces politiques coûteuses que nous ne pouvons pas nous permettre et qui font douter les Canadiens que nous reconnaissons à quel point ce moment est grave », assène-t-elle. Il s’agit là d’une critique à peine voilée à l’endroit de l’approche dépensière du bureau du premier ministre dans le contexte actuel.
Le gouvernement a récemment délié les cordons de la bourse pour offrir un congé de la taxe sur les produits et services (TPS) jusqu’à la mi-février.
Il voulait aussi offrir un chèque de 250 $ aux travailleurs au printemps prochain, une mesure qui coûterait quelque 4,7 milliards au Trésor public.
Or, lors du dernier budget fédéral, Chrystia Freeland s’était engagée à maintenir le déficit à 40 milliards.
Elle avait toutefois fini par reconnaître la semaine dernière qu’elle n’allait pas être en mesure de respecter cette promesse.
Partir avant d’être chassée ?La démission de Chrystia Freeland a été reprise par les grands médias internationaux comme le New York Times, la BBC, et Le Monde.
Cette décision survient alors que des rumeurs circulaient sur son avenir politique.
C’est que le premier ministre Trudeau tenterait de recruter l’ex-gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, pour la remplacer.
« Les discussions sont très sérieuses. Mark Carney est en réflexion. Rien n’est acquis encore. Mais cela va affecter le remaniement ministériel », a confié dimanche une source gouvernementale.
Incertitude au huis closAu moment d’écrire ces lignes, le sort de la mise à jour économique demeurait en suspens.
À l’entrée de la salle où doit avoir lieu le huis clos de l’énoncé économique, les documents sont recouverts d’une nappe noire.
Les fonctionnaires attendent les directives du bureau du premier ministre afin de savoir si la mise à jour économique ira de l’avant ou non, et qui aurait le mandat de la dévoiler.
« Gouvernement en ruine »Les conservateurs, qui étaient déjà prêts à tailler en pièces le document écrit à l’encre rouge écarlate de la ministre Freeland, n’ont pas tardé à réagir.
« Même elle a perdu confiance en Trudeau. Ce gouvernement est en ruine », a promptement pesté l’ancien chef Andrew Scheer sur le réseau X.
L’actuel dirigeant de la formation, Pierre Poilievre, a demandé des élections, considérant que « Justin Trudeau a perdu le contrôle ».
L’ex-ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, a appelé M. Trudeau à démissionner. Elle avait quitté le cabinet de façon retentissante dans la foulée du scandale SNC-Lavalin.
« Lorsque le général perd ses soldats les plus fidèles à la veille d’une guerre (tarifaire), le pays a désespérément besoin d’un nouveau général », a-t-elle publié sur X. « Il est temps, plus que temps de partir. »
« Pas certaine que le PM peut se dire féministe… », a écrit pour sa part l’ex-ministre de l’Environnement, Catherine McKenna sur le réseau social Bluesky.
Départs en sérieLa ministre Freeland aura été la seconde personne à tenir les rênes du ministère des Finances sous le premier ministre Justin Trudeau, après Bill Morneau.
Celle qui a été élue pour la première fois lors d’une élection complémentaire en 2013 a signalé dans sa lettre qu’elle demeurerait députée, et qu’elle avait l’intention de se représenter aux prochaines élections.
Chrystia Freeland a longtemps été considérée comme une potentielle successeure à Justin Trudeau.
Un autre dont le nom circulait, Sean Fraser, a annoncé son départ du Cabinet, lundi.
À l’entrée de la rencontre hebdomadaire du Conseil des ministres, qui devait se tenir à 9 h 30, la ministre Anita Anand est demeurée prudente.
« La ministre Freeland est une bonne amie. Nous travaillons de très proche chaque jour […] Elle est une citoyenne incroyable », s’est-elle contentée de dire au micro des journalistes.