Démission de Chrystia Freeland | « Une crise politique sans ...

2 days ago

C’est une crise politique majeure : la ministre des Finances, Chrystia Freeland, claque la porte du cabinet Trudeau. Cela survient au moment où le gouvernement est plus fragilisé que jamais et que le déficit budgétaire explose, le tout dans un contexte très instable avec l’élection de Donald Trump. Le point en cinq questions.

Chrystia Freeland - Figure 1
Photo La Presse

Publié à 19 h 59 Mis à jour à 21 h 18

À quel point cette crise fragilise-t-elle le gouvernement ?

De façon « critique », explique le politologue et chargé de cours au département de sciences politiques de l’UQAM André Lamoureux. « Sincèrement, je n’ai pas le souvenir d’avoir vu se déballer une instabilité gouvernementale à un niveau si élevé, et surtout en l’espace de quelques jours seulement. C’est une crise politique sans précédent, ce qui se passe. À un moment où Justin Trudeau n’a déjà plus vraiment de crédit auprès de la population, je vois mal comment ça ne le fera pas couler », explique le spécialiste. À ses yeux, « le seul facteur qui pourrait maintenir le gouvernement en place, c’est le flou qu’entretient le Nouveau Parti démocratique (NPD) ». Son chef, Jagmeet Singh, a réclamé lundi la démission du premier ministre, sans toutefois dire clairement s’il cessera de l’appuyer comme il le fait depuis un moment déjà.

Existe-t-il des comparables ?

Oui, mais jamais dans un contexte aussi tendu que le jour d’une mise à jour économique, répond la politologue Stéphanie Chouinard, professeure de science politique à l’Université Queen’s. Elle cite notamment l’ex-ministre des Finances Bill Morneau, qui avait démissionné en 2020 en raison de ses désaccords sur les dépenses liées à la relance économique, mais surtout l’ex-premier ministre Jean Chrétien. Ce dernier avait en 2002 congédié son ministre des Finances Paul Martin alors que celui-ci était engagé dans une course non officielle pour reprendre la tête du Parti libéral. « Ça avait créé une scission assez profonde au sein de la grande famille libérale pour les années suivantes. Là, on ne sait pas si Chrystia Freeland a des appuis aussi solides à l’intérieur du parti qu’avait à l’époque Paul Martin. Je pense que ça deviendra plus clair si elle décide de se lancer éventuellement dans une course à la chefferie », fait valoir la professeure.

D’autres démissions fracassantes sur la scène fédérale résonnent aussi encore fortement dans l’imaginaire collectif québécois à ce jour. Parmi elles, il y a Lucien Bouchard. Ce dernier avait annoncé en mai 1990 sa démission du gouvernement fédéral conservateur de Brian Mulroney, dans un contexte déjà tendu et marqué par l’échec attendu de l’Accord du lac Meech. Ce geste, qui a semé une véritable onde de choc à l’époque, avait peu après mené à la création du Bloc québécois.

Chrystia Freeland - Figure 2
Photo La Presse

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre Justin Trudeau et son nouveau ministre des Finances, Dominic LeBlanc, en route vers la réunion du caucus libéral, lundi soir.

Quels sont les impacts à prévoir à court terme ?

Pour la professeure associée et politologue à l’Université Concordia Mireille Paquet, toute cette affaire pourrait fort bien précipiter la tenue d’élections fédérales, mais pas dans n’importe quelles conditions. « À ce stade-ci, on ignore un peu si les conservateurs seraient capables de partir en élection en janvier, mais je ne pense pas qu’ils vont vouloir le faire avant l’entrée au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis », raisonne-t-elle. « Pour les libéraux et Justin Trudeau, c’est une gifle, une répudiation du leadership et de l’approche actuelle même. Ça montre vraiment que même les alliés les plus proches du premier ministre, ou les gens qui apparaissaient comme tel, ne le sont plus réellement », ajoute Mme Paquet.

Doit-on s’attendre à un vote de confiance ?

Ça demeure une possibilité, mais pour éviter des élections, Justin Trudeau pourrait plutôt « opter pour la prorogation du Parlement » au retour des Fêtes, affirme André Lamoureux. Il s’agit de la procédure parlementaire par laquelle le pouvoir exécutif en place peut terminer une session en demeurant à l’intérieur d’une même législature. Une telle période a une durée variable, pouvant aller d’à peine quelques heures à des semaines, voire des mois. Elle met essentiellement fin à tous les projets en cours, en plus de fermer indéfiniment la Chambre des communes ainsi que le Sénat, mais le gouvernement en place demeure au pouvoir, tout comme les députés élus dans leurs circonscriptions, contrairement à une dissolution. « Comme tout ça arrive juste avant Noël, c’est dans l’intérêt de personne d’aller en élection dans l’immédiat. On parle donc probablement d’une prorogation pour le moment », raisonne d’ailleurs aussi Mireille Paquet à ce sujet.

PHOTO BLAIR GABLE, REUTERS

Justin Trudeau devant son caucus lundi soir.

Y aura-t-il des conséquences sur la réputation du Canada ?

Possiblement. Du point de vue du chef conservateur de l’opposition Pierre Poilievre – qui semble plus que jamais aux portes du pouvoir –, mais aussi pour le président désigné Donald Trump, « c’est un beau cadeau, ce qui se passe », juge Stéphanie Chouinard. Pour le reste, dit-elle, tant Justin Trudeau que Chrystia Freeland paraissent mal. « C’est Justin Trudeau qui l’a appelée vendredi pour lui annoncer qu’il souhaitait la démettre de ses fonctions, mais c’est autant la responsabilité de M. Trudeau que de Mme Freeland. Je ne sais pas trop ce qui s’est passé dans la tête du premier ministre pour penser qu’on pouvait démettre la ministre des Finances littéralement la veille du dépôt de l’énoncé économique et de croire qu’elle allait tout bonnement le présenter comme si de rien n’était », conclut Mme Chouinard.

Avec Éric Martel, La Presse

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