(Dacca) La première ministre du Bangladesh Sheikh Hasina a pris la fuite en hélicoptère lundi au bout de quinze ans de pouvoir et d’un mois de manifestations meurtrières, poussant le chef de l’armée à annoncer la formation prochaine d’un gouvernement intérimaire.
Publié à 6h34 Mis à jour à 12h21
Shafiqul ALAM Agence France-Presse
Ce qu’il faut savoir
Le chef de l’armée du Bangladesh, le général Waker-Uz-Zaman, a déclaré lundi qu’il allait former un gouvernement intérimaire après la démission de la première ministre Sheikh Hasina qui a fui la capitale Dacca. L’Union européenne a jugé lundi « essentiel qu’une transition ordonnée et pacifique vers un gouvernement démocratiquement élu soit assurée » au Bangladesh. Sheikh Hasina a longtemps incarné un espoir démocratique pour le pays en contribuant à la chute de la dictature militaire dans les années 1980, avant d’exercer un pouvoir de plus en plus autoritaire. Depuis juillet, elle était confrontée à des manifestations de masse qui ont commencé par des rassemblements contre les quotas d’emploi dans la fonction publique, puis se sont transformées en une crise parmi les plus graves de ses 15 années de mandat, les opposants exigeant sa démission.Au lendemain d’un dimanche marqué par des violences qui ont fait une centaine de morts, 66 personnes ont péri lundi, selon des sources policières et hospitalières. Au total, 366 personnes ont trouvé la mort au Bangladesh dans des affrontements depuis le début des manifestations en juillet, selon un bilan de l’AFP établi à partir de données de la police, de sources officielles et hospitalières.
Des images diffusées par la chaîne bangladaise Channel 24 ont montré le saccage par une foule de manifestants de la résidence officielle de Mme Hasina. D’autres ont envahi le parlement, incendié des chaînes de télévision qui avaient soutenu le gouvernement Hasina, brisé des statues de son père et mis le feu à un musée qui lui était consacré.
PHOTO K M ASAD, AGENCE FRANCE-PRESSE
Une foule de manifestants ont envahi le palais de Sheikh Hasina.
« Le pays a beaucoup souffert, l’économie a été touchée, de nombreuses personnes ont été tuées. Il est temps de mettre fin à la violence », a déclaré le général Waker-Uz-Zaman, qui a également annoncé la démission de la dirigeante, lors d’une adresse à la nation diffusée par la télévision d’État de ce pays de 170 millions d’habitants.
Par la suite, une réunion présidée par le chef de l’État Mohammed Shahabuddin et ayant pour participants M. Waker, les chefs des forces navale et aérienne et les dirigeants de plusieurs partis d’opposition, a débouché sur l’annonce de la libération de « toutes les personnes arrêtées lors des manifestations d’étudiants ».
Le président Shahabuddin a également ordonné la libération de l’ex-première ministre et cheffe de l’opposition Khaleda Zia (78 ans). Grande rivale de Mme Hasina, la cheffe du Parti nationaliste du Bangladesh (BNP) est hospitalisée depuis qu’elle a été condamnée à 17 ans de prison pour corruption en 2018.
« La réunion a décidé de former immédiatement un gouvernement intérimaire », a ajouté le communiqué. L’armée a par ailleurs annoncé la levée du couvre-feu et la réouverture des « bureaux, usines, écoles, universités » et commerces pour mardi 6 h locales (20 h heure de l’Est).
Sheikh Hasina a atterri dans une base militaire près de New Delhi, selon la presse indienne, mais une source de haut niveau a affirmé qu’elle ne faisait que « transiter » par le pays et qu’elle se rendrait ensuite à Londres. Mais l’appel du gouvernement britannique à une enquête de l’ONU sur des « niveaux de violence sans précédents » a mis en doute cette destination.
« Rendre des comptes »Fille aînée de Sheikh Mujibur Rahman, le père fondateur du Bangladesh qui a pris son indépendance du Pakistan en 1971, Sheikh Hasina était revenue au pouvoir en 2009, après un premier mandat entre 1996 et 2001.
PHOTO MOHAMMAD PONIR HOSSAIN, REUTERS
Une peinture murale de l’ex-première ministre bangladaise Sheikh Hasina est vandalisée par des manifestants quelques jours auparavant à Dacca, au Bangladesh, le 5 août 2024.
Des témoins ont déclaré à l’AFP que la foule avait saccagé les maisons des alliés du parti de Mme Hasina, la Ligue Awami, ainsi que des postes de police.
« Nous voulons un Bangladesh sans corruption, où tout le monde peut exprimer son opinion librement », a affirmé Monirul Islam, un jeune homme de 27 ans parmi les milliers de manifestants devant la résidence. « Le temps est venu de leur faire rendre des comptes pour leurs tortures », a affirmé un autre manifestant, Kaza Ahmed.
Des millions de personnes étaient sorties dans les rues à travers le pays, beaucoup pacifiquement, en brandissant des drapeaux, en dansant sur des tanks. Mais des scènes de chaos et d’affrontement ont également marqué la journée.
PHOTO MUNIR UZ ZAMAN, AGENCE FRANCE-PRESSE
Un véhicule brûlé le long d’une rue lors de manifestations antigouvernementales à Dacca, le 5 août 2024.
Les forces de sécurité ont soutenu le gouvernement Hasina tout au long des troubles, mais dimanche, à plusieurs occasions, militaires et policiers ne sont pas intervenus pour réprimer les manifestations comme ils l’avaient fait précédemment.
M. Waker a déclaré qu’il avait eu des entretiens avec les principaux partis d’opposition et des membres de la société civile, mais pas avec la Ligue Awami de Mme Hasina.
« Territoire inconnu »PHOTO MUNIR UZ ZAMAN, AGENCE FRANCE-PRESSE
Des membres de l’armée bangladaise montent la garde lors d’un couvre-feu à la suite d’affrontements entre la police et des militants à Dacca, le 5 août 2024.
Le départ de cette dernière laisse « un gros vide » et plonge le pays « en territoire inconnu », a estimé Michael Kugelman, directeur de l’Institut de l’Asie du Sud au Wilson Center, basé à Washington.
L’Union européenne a jugé « essentiel qu’une transition ordonnée et pacifique vers un gouvernement démocratiquement élu soit assurée » au Bangladesh. Le Royaume-Uni a appelé à la « fin aux violences » et à la « désescalade », la diplomatie américaine « au calme et à la retenue », et le chef de l’ONU à une « transition démocratique ».
Sur fond de chômage aigu des diplômés, les étudiants exigent l’abolition d’un système réservant un quota d’emplois publics aux familles des vétérans de l’indépendance, ce qui favorise selon eux les proches du pouvoir. En réaction à leurs manifestations, le gouvernement a notamment fermé les écoles et universités et déployé l’armée.
Partiellement aboli en 2018, ce système a été restauré en juin par la justice, mettant le feu aux poudres, avant un nouveau retournement fin juillet de la Cour suprême.
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La police bangladaise se bat avec des personnes qui manifestent pour demander une justice pour les victimes tuées lors des récentes violences dans le pays, à Dacca, le 31 juillet 2024.
La crise sociale s’est muée en crise politique à partir du 16 juillet, quand la répression a fait ses premiers morts, les manifestants réclamant alors la démission de Mme Hasina.
Son gouvernement a été accusé par des groupes de défense des droits de la personne d’utiliser les institutions de l’État pour consolider son emprise sur le pouvoir et éradiquer la dissidence, y compris en éliminant des militants de l’opposition.