Bangladesh | Fin de régime pour la « dame de fer » bangladaise

6 Aug 2024

L’incertitude règne au Bangladesh, à la suite de la démission de la première ministre Sheikh Hasina, après plus d’un mois de manifestations sanglantes

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Photo La Presse

Publié à 1h18 Mis à jour à 5h00

Fin de partie pour Sheikh Hasina. La première ministre du Bangladesh a finalement démissionné lundi, après plus de 15 ans de règne ininterrompu. Son départ soudain survient après un mois de manifestations, qui ont été sévèrement réprimées par la police, causant la mort de 200 à 300 personnes.

Selon le média local Prothom Alo, Mme Hasina aurait fui le pays en compagnie de sa sœur, à bord d’un hélicoptère militaire, afin de se mettre en « lieu sûr » (elle aurait atterri en Inde), tandis que des milliers de personnes célébraient dans les rues de la capitale Dacca la fin d’un régime de plus en plus contesté, certains prenant même d’assaut la résidence de la première ministre, emportant « de nombreux biens » avec eux.

PHOTO MOHAMMAD PONIR HOSSAIN, REUTERS

Des manifestants quittent la résidence de l’ancienne première ministre, emportant avec eux des biens pillés.

Dans une allocution télévisée, le chef militaire du Bangladesh, le général Waker-uz-Zaman, a annoncé qu’un gouvernement intérimaire serait formé pour diriger le pays, et promis une enquête sur les mesures de répression meurtrières observées au cours des dernières semaines, espérant calmer le jeu dans un contexte toujours très volatil.

« Gardez confiance envers l’armée, nous enquêterons sur tous les meurtres et punirons les responsables, a-t-il déclaré. J’ai ordonné qu’aucune armée ni police ne se livre à des tirs d’aucune sorte… »

Un mois de manifestations

Les manifestations au Bangladesh avaient commencé pacifiquement début juillet, alors que des étudiants exigeaient la fin du système de quotas pour les emplois gouvernementaux, réservés en priorité aux enfants des combattants pour l’indépendance de 1971.

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PHOTO YOSHIKAZU TSUNO, AGENCE FRANCE-PRESSE

La première ministre démissionnaire Sheikh Hasina

Mais les rassemblements se sont transformés en un soulèvement populaire sans précédent contre Mme Hasina et son parti, la Ligue Awami. Le gouvernement a tenté de réprimer la violence par la force, alimentant encore plus l’indignation.

Au moins 95 personnes, dont 14 policiers, seraient mortes dimanche lors d’affrontements à Dacca, selon l’AFP. Plus de 10 000 personnes ont par ailleurs été arrêtées ces dernières semaines, les épisodes de violence entraînant la fermeture d’écoles et d’universités à travers le pays, tandis que les autorités imposaient un couvre-feu lors duquel les contrevenants s’exposaient à être abattus à vue.

Mais la pression de la rue a finalement eu raison de Sheikh Hasina, souvent décrite comme « la dame de fer » du Bangladesh.

PHOTO RAJIB DHAR, ASSOCIATED PRESS

Des militants se sont heurtés mardi dernier à la police lors d’une marche à la mémoire des victimes des récents affrontements meurtriers dans tout le pays.

Et maintenant quoi ?

Si son départ calme le jeu, l’incertitude règne désormais dans le pays, suscitant notamment les inquiétudes de l’ONU, qui a appelé lundi à un retour au calme.

Il s’agit maintenant de savoir si le chaos se poursuivra dans les rues de Dacca, où l’on craint désormais un festival de règlements de comptes, venant notamment de leaders de l’opposition emprisonnés ou de groupes islamistes muselés par le régime de Mme Hasina.

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Photo La Presse

« Des représailles sont à prévoir contre la Ligue Awami », résume simplement Subho Basu, professeur à l’Université McGill et auteur du livre Intimation of Revolution : Global Sixties and the Making of Bangladesh.

L’autre question est de savoir si le pays saura reconstruire un système démocratique crédible.

Pour Subho Basu, il est « peu probable » que l’armée veuille « assumer directement » le pouvoir, même si le Bangladesh possède un certain passif en matière de junte militaire (29 coups d’État depuis 1971).

Il est plus plausible, ajoute-t-il, que les militaires soutiendront le gouvernement intérimaire à venir, tout en assurant la tenue de nouvelles élections, qui ramèneront éventuellement au pouvoir le Bangladesh Nationalist Party (BNP), l’autre formation historique du pays, considérée comme moins laïque et plus proche des partis islamistes, dont l’influent Jamaat-e-Islami, qui aura probablement un rôle à jouer.

Mais selon Narendra Subramanian, professeur de science politique à McGill, la transition est encore loin d’être assurée. « C’est une chose de faire tomber un gouvernement, dit-il. Mais cela ne garantit pas que le prochain gouvernement sera plus démocratique. »

Le plus long règne du Bangladesh

Fille aînée de Sheikh Mujibur Rahman, le père fondateur du Bangladesh qui a pris son indépendance du Pakistan en 1971, Sheikh Hasina était au pouvoir depuis 2009, après un premier mandat entre 1996 et 2001.

À 76 ans, elle est la dirigeante à être restée au pouvoir le plus longtemps de l’histoire du Bangladesh, une nation à majorité musulmane de plus de 160 millions d’habitants située entre l’Inde et la Birmanie.

Sheik Hasina avait été élue en janvier pour un quatrième mandat consécutif lors d’un scrutin controversé boycotté par ses principaux opposants, tout comme celui de 2014. Des milliers de membres de l’opposition avaient été emprisonnés à l’approche des élections, suscitant des questions sur le caractère libre et équitable du vote, comme sur son régime en général, considéré comme étant de plus en plus autoritaire. En novembre dernier, l’ONG Human Rights Watch avait même affirmé avoir des preuves de « disparitions forcées, de torture et d’exécutions extrajudiciaires ».

Pour certains, c’était une autocratie électorale, pour d’autres, une dictature pure et simple.

Narendra Subramanian, professeur de science politique à McGill

Sous sa direction, le pays d’Asie du Sud, naguère l’un des plus pauvres au monde, a toutefois bénéficié d’un net essor économique grâce notamment au développement de son industrie textile. Mais les indicateurs étaient de nouveau à la baisse, exacerbant les tensions dans une société de plus en plus contrariée par une répression grandissante.

« L’économie en downhill a coïncidé avec l’absence d’options démocratiques, conclut Subho Basu. Le mouvement étudiant n’a fait que déclencher le mécontentement général contre le régime. La vapeur commençait à s’accumuler, et la cocotte a fini par exploser… »

Avec l’Agence France-Presse

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