Amira Elghawaby et le 59% de racistes québécois

1 Feb 2023
Amira Elghawaby

Les déclarations de l’ancienne journaliste Amira Elghawaby, nommée au poste de représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie, suscitent un tollé, avec raison. Elle a, entre autres fausses nouvelles, fait référence aux résultats d’un sondage réalisé en 2007 par la firme Léger selon lesquels 59 % des Québécois se considéraient comme racistes. En tant que journaliste, elle aurait pu examiner de plus près ce sondage pour en constater les failles. Mais un quelconque objectif plus ou moins caché l’aura sans doute emporté sur son éthique de travail.

Le fatidique sondage de 2007

Le 15 janvier 2007, en plein contexte de débats intenses sur les accommodements raisonnables, après que le conseil municipal d’Hérouxville eut adopté un code de conduite ciblant les accommodements religieux, Le Journal de Montréal publiait un sondage réalisé par la firme Léger Marketing par le biais de deux sondages Internet, entre décembre 2006 et janvier 2007, avec un titre choc : « 59 % des Québécois se disent racistes ».

Or, à l’instar de mes collègues Rachad Antonius et Jean-Claude Icart, chercheurs spécialisés comme moi en sociologie du racisme, ces résultats m’apparaissaient immédiatement suspects. Dans la foulée, nous avons publié deux articles à ce sujet, l’un dans La Presse, l’autre dans la revue Éthique publique. Selon notre analyse, plusieurs raisons expliquaient ces résultats aberrants : une définition douteuse du racisme, l’agrégation de catégories non agrégeables, ce que l’on apprenait des attitudes concernant les accommodements raisonnables en comparaison, et l’absence des Premières Nations.

Une définition douteuse et des résultats contradictoires

La définition scientifique du racisme consiste en ceci : « Une idéologie qui se traduit par des préjugés, des pratiques de discrimination, de ségrégation et de violence, impliquant des rapports de pouvoir entre des groupes sociaux, qui a une fonction de stigmatisation, de légitimation et de domination, et dont les logiques d’infériorisation et de différenciation peuvent varier dans le temps et l’espace ».

Or, les sondés devaient réagir à une définition lacunaire : « … au niveau populaire, tous comportements, paroles, gestes ou attitudes désagréables, si mineurs soient-ils à l’égard d’une autre culture… ». Il est peu probable que tous aient saisi la signification profonde du terme « racisme » pour ensuite se juger « racistes ». En fait, ils devaient répondre à des questions (12 à 22) concernant davantage les relations interculturelles, voire l’ethnocentrisme, plutôt que le racisme. Il y avait donc d’entrée de jeu une utilisation déficiente du mot racisme pour exprimer toute une gamme d’attitudes délicates interprétables de façon variable.

Un deuxième problème était le regroupement des sous-catégories (fortement raciste, moyennement raciste, faiblement raciste, pas du tout raciste). Ceux et celles qui se disaient fortement racistes étaient fusionnés avec ceux et celles qui se disaient moyennement ou faiblement racistes, d’où le fameux total de 59 %. Or, que signifiaient exactement le « moyennement raciste » ou le « légèrement raciste » ?

Autre donnée contradictoire : la grande majorité des Québécois (77 %), tout comme la majorité des membres des « communautés culturelles » (80 %) estimaient qu’il n’y a pas de « races » humaines plus douées que d’autres (question 3). Et 78 % des membres des dites « communautés culturelles » déclaraient se sentir bien accueillis.

Comment expliquer ces résultats si 59 % des Québécois étaient racistes ?

D’autres contradictions sur les accommodements raisonnables

Il faut souligner que le sondage Léger Marketing de janvier 2007 s’est tenu dans un contexte chargé. L’opinion publique était chauffée à blanc par les politiciens et les médias sur la question des accommodements raisonnables à caractère religieux.

Dans le même sondage, Léger a donc cru bon d’introduire deux questions sur cet enjeu de société : « Quel énoncé correspond le mieux à votre opinion ? 1. Tous les immigrants devraient respecter les lois et règlements du Québec même si cela va à l’encontre de certaines croyances religieuses ou pratiques culturelles ; 2 « Il est nécessaire d’adopter des accommodements à nos lois et règlements pour ne pas obliger les immigrants à aller à l’encontre de leurs croyances religieuses ou pratiques culturelles ». Le résultat obtenu fut le suivant : « La très grande majorité des Québécois (83 %) croient que les immigrants devraient respecter les lois et les règlements du Québec, même si cela va à l’encontre de certaines croyances religieuses ou pratiques culturelles. Chez les membres des communautés culturelles, 74 % sont du même avis ».

En conclusion, on peut aussi se demander pourquoi le sondeur distinguait « communautés culturelles » et « Québécois », une question de fond dont l’importance politique et citoyenne est immense. Et pourquoi la dimension autochtone a été alors complètement évacuée de l’enquête  Le Journal de Montréal publiait en janvier 2007 un tableau intitulé « L’immigration en 5 minutes », dans lequel les 130 165 membres des « Premières Nations » figuraient parmi les « importantes communautés culturelles du Québec » issues de l’immigration ! Une gaffe désespérante…

On peut aussi se demander s’il ne serait pas pertinent de mener des sondages sur les types de préjugés relevant du Québec bashing systémique qui sévit au sein des minorités (un prototype étant celui pratiqué par Mme Elghawaby), à l’égard des Québécois dits « de souche », un incontestable tabou à affronter.

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