Les 40 ans ans de piquante nostalgie de «A Christmas Story»
La série A posteriori le cinéma se veut une occasion de célébrer le 7e art en revisitant des titres phares qui fêtent d’importants anniversaires.
En matière de films de Noël, tout est souvent affaire de générations et de dispositions cinéphiles. Qu’il s’agisse du doux-amer It’s a Wonderful Life (La vie est belle), du trépidant Die Hard (Piège de cristal), de l’irrévérencieux Scrooged (Fantômes en fête), du comique Home Alone (Maman, j’ai raté l’avion), ou du fantaisiste Elf (Le lutin), chacune et chacun a son favori. Or, dans ce registre, il est un film qui suscite une affection et un engouement particuliers : A Christmas Story (Une histoire de Noël). Outre qu’il possède toutes les qualités des autres longs métrages énumérés, celui de Bob Clark, sorti il y a 40 ans, exsude une nostalgie non pas sucrée, mais aigre-douce. On y suit l’inénarrable Ralphie Parker, 9 ans, entre émerveillement et désenchantement, à l’approche du 25 décembre.
Campé vers 1940, le film est narré à la première personne, sur un ton pince-sans-rire irrésistible, par Jean Shepherd, l’auteur des vignettes radiophoniques et du livre In God We Trust: All Others Pay Cash à l’origine du scénario.
En surface, la famille Parker est on ne peut plus archétypale pour l’époque : papa bourru mais bon, maman excédée à raison mais infiniment patiente, petit frère agaçant… Et Ralphie (Peter Billingsley, formidable), qui se perçoit comme un éternel incompris.
Mais justement, derrière les figures imposées et l’imagerie tout droit sortie de peintures de Norman Rockwell, il y a cet exquis grain de folie. Car chaque membre de la famille a son obsession : le père qui exècre les chiens du voisin, la mère qui ne pense qu’à sa dinde, frérot qui refuse de manger… Autant d’idiosyncrasies qui, par jeu de répétition et de variations, donnent lieu à de savoureux moments d’aliénation ordinaire.
Côté « obsession », Ralphie n’est pas en reste. Pour Noël, en effet, il ne rêve que d’une chose : la « carabine des cow-boys de Red Ryder à air comprimé et à 200 coups ».
Hélas, lorsque, après moult détours et tergiversations, Ralphie fait part de son voeu, sa mère rétorque aussitôt : « Tu te crèveras un oeil. »
Livide, Ralphie n’est pas au bout de ses peines, puisque ces paroles vexantes, il les entendra proférées par son enseignante, ainsi que, par déconfiture suprême, un père Noël de grand magasin. Ce dernier épisode est l’une des innombrables scènes cultes du film. Une autre est celle où le père s’extasie devant la lampe en forme de jambe féminine couverte de résille qu’il a remportée à un concours (la mère la cassera « par mégarde » lors d’une scène tout aussi tordante).
Gravé dans la mémoire également : ce passage lors duquel Ralphie, après avoir été intimidé et malmené une fois de trop par la terreur du quartier, envoie son intimidateur au tapis. Non, la violence ne règle rien, mais quiconque a subi de l’intimidation dans sa vie exultera.
Sans oublier cette séquence où, après avoir été mis au défi (« Moi j’te dis re-re-re-chiche ! » ou « I triple-dog dare you ! »), un camarade de classe de Ralphie tente de lécher un poteau de métal glacé où sa langue reste collée. Et les enfants de fuir en panique avant que ne s’amènent les pompiers ! Pour l’anecdote, Bob Clark et son équipe bricolèrent cette illusion en branchant un aspirateur à un faux poteau percé d’un trou invisible à la caméra, et auquel le jeune acteur put river sa langue sans danger.
« L’image de cette langue étirée et, bien sûr, arrachée, est tout simplement horrible, hilarante, et douloureuse, et elle est à jamais gravée dans nos esprits », écrit en 2016 Kevin P. Sullivan dans Entertainment Weekly.
Une satire réalisteDans un second article publié la même année, celui-là par Vanity Fair, on peut lire sous la plume de Sam Kashner : « A Christmas Story a changé à jamais, en tant que genre, le cinéma des Fêtes jusque-là chaleureux et sentimental […] C’était un nouveau type de film des Fêtes. Un film qui reconnaissait — et même savourait — l’avarice débridée, le consumérisme, les déceptions, les sentiments froissés, et la malchance générale, qui, en réalité, définissent souvent la période des Fêtes. En d’autres mots, ce à quoi ressemblait le vrai Noël dans les vraies familles. [Ce film] offrait une explosion vivifiante de satire et de réalisme, enveloppée dans une histoire parfaitement hilarante d’une famille de la classe moyenne négociant les périls de Noël, le tout relaté à travers les yeux d’un garçon de 9 ans. »
Au moment d’inscrire A Christmas Story à son registre des « Grands films », en 2000, le critique Roger Ebert résume : « A Christmas Story ne parle pas seulement de Noël et de carabines à air comprimé, mais aussi de l’enfance, et tous les détails sonnent juste, les uns après les autres […] Il y a plusieurs petits moments parfaits dans A Christmas Story… Ces moments sont la raison pour laquelle tant de gens regardent A Christmas Story à chaque saison des Fêtes. Il y a une véritable compréhension de la nature humaine derrière la comédie. »
Les « gens qui regardent A Christmas Story » sont en l’occurrence légion. À preuve, depuis des décennies, certaines chaînes américaines diffusent le film est boucle pendant 24 heures.
Autre exemple de la ferveur engendrée par le film : un dénommé Brian Jones transforma la maison de Cleveland utilisée dans le film en un musée « A Christmas Story », après avoir acheté en 2004 la propriété sur eBay (!). Le jour de l’ouverture, la file était longue de cinq pâtés de maisons.
Pour la petite histoire, la majorité du film fut tournée à Toronto et dans ses environs, y compris toutes les scènes à l’intérieur de la maison des Parker : un décor construit en studio. Non que l’on détecte un seul instant l’artifice.
Authenticité tous azimutsDe fait, A Christmas Story, une coproduction à petit budget entre les États-Unis et le Canada, dégage une authenticité absente des productions hollywoodiennes traditionnelles. Et cette authenticité n’est pas que visuelle : elle est, peut-être surtout, émotionnelle.
Comme le rappelle Cynthia Littleton dans Variety en 2020 : « A Christmas Story constitue un cadeau magnifique pour tous ceux qui se souviennent de la sensation de fourmis dans les jambes en se réveillant avant l’aube, le 25 décembre, alors que l’on se demande si l’objet du désir nous attend sous l’arbre ou non. »
Si le film de Bob Clark a passé à ce point l’épreuve du temps, c’est peut-être, au fond, parce que cette fameuse sensation de fourmillement ne nous quitte jamais vraiment.
Le film A Christmas Story est disponible en VSD sur la plupart des plateformes.
Avant de réaliser A Christmas Story, Bob Clark se fit connaître grâce à un autre film ayant pour toile de fond le temps des Fêtes, mais d’horreur celui-là : Black Christmas (Noël tragique ; 1974). Ce « slasher », l’un des premiers du genre et une influence directe sur la subséquente Halloween, de John Carpenter, serait en partie inspiré par des meurtres survenus à… Westmount. L’action se déroule dans une vaste demeure servant de résidence à un groupe d’étudiantes. Une à une, elles sont assassinées par le mystérieux tueur qui a élu domicile dans le grenier à leur insu. Autant A Christmas Story est réjouissant, autant Black Christmas est terrifiant.
François Lévesque