Jean-Pierre Ferland (1934-2024) | Une chance qu'on l'a eu

14 days ago

Il a chanté sa dernière chanson d’amour : Jean-Pierre Ferland s’est éteint cet après-midi, selon son agence. Sa musique, son « amour de musique », comme il le chantait, lui survivra.

Jean-Pierre Ferland - Figure 1
Photo La Presse

Le chanteur s’est éteint à l’âge de 89 ans de causes naturelles. Il était hospitalisé depuis février dernier dans un CHSLD de Lanaudière.

Jean-Pierre Ferland n’a pas que participé à l’éveil et à l’évolution musicale d’ici, il les a nourris, et parfois provoqués. Il a été un bâtisseur de la chanson « canadienne-française », qu’il a contribué à forger dès ses débuts dans les années 1950. Il est aussi l’un des plus importants architectes de la chanson et du rock québécois, qu’il a marqués à la faveur de ses expérimentations des années 1970, en particulier avec son album Jaune, considéré comme l’un des plus grands disques québécois.

Jean-Pierre Ferland est né le 24 juin 1934. Après une enfance qu’il a souvent qualifiée d’ennuyeuse, vécue en partie dans le Plateau Mont-Royal, il est entré à la Société Radio-Canada comme commis en 1954. Il quitte son emploi en 1958 pour se joindre aux Bozos, regroupement d’auteurs-compositeurs-interprètes au sein duquel se trouvent aussi Clémence DesRochers, Claude Léveillée et Raymond Lévesque. L’aventure collective sera marquante – c’est le début des boîtes à chansons –, mais de courte durée.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Pierre Ferland en 2020 devant le triplex de son enfance, sur le Plateau Mont-Royal

Après qu’il eut fait une longue série de spectacles avec Clémence en 1959, sa carrière est lancée pour de bon en 1962 avec Feuilles de gui, d’abord interprétée par Renée Claude, qui remporte le concours Chanson sur mesure de Radio-Canada et le grand prix au Gala international de la chanson de Bruxelles. Sa manière est assez traditionnelle et servira de fondation aux virages esthétiques à venir, comme le souligne son biographe, Marc-François Bernier.

Jean-Pierre Ferland - Figure 2
Photo La Presse

Au cours des années 1960, Jean-Pierre Ferland multiplie les tournées au Québec, mais aussi les séjours en France. C’est à Paris qu’il écrit, à la fin de la décennie, Je reviens chez nous, qui deviendra son premier grand succès. En 1968, son album du même nom, sur lequel se trouvent aussi Marie-Claire, Si je savais parler aux femmes et L’assassin mondain, reçoit le Grand Prix du disque de l’Académie Charles-Cros.

PHOTO PIERRE MCCANN, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Pierre Ferland en janvier 1969

La révolution Jaune

Les astres sont alors alignés pour l’auteur-compositeur-interprète, qui a toujours été ambitieux. Il semble à l’aube d’une vraie grande carrière en Europe. Or, il en a assez de la France et de la façon de faire à la française. Il a le mal du pays. Et le vent fort qui l’élève s’apprête à tourner…

L’Osstidcho, créé au printemps 1968 au Quat’Sous, provoque une véritable onde de choc au Québec. Jean-Pierre Ferland le voit en reprise en janvier 1969 à la Place des Arts et subit ce que son biographe qualifie de « traumatisme artistique » – ou d’« osstidchoc ». L’artiste comprend que, du jour au lendemain, son style, inspiré par les Ferré, Brassens et Brel, est dépassé. Qu’il se doit de rebondir s’il veut durer.

Quelques mois plus tard, à Paris, il croise Michel Robidoux, qui était de L’Osstidcho et qui accompagne Charlebois en France. Jean-Pierre Ferland lui annonce vouloir envisager ses chansons autrement. Michel Robidoux lui tend la main. Et c’est à Paris qu’ils créeront les chansons de Jaune, album qui marque la première réinvention artistique de Jean-Pierre Ferland.

Jean-Pierre Ferland - Figure 3
Photo La Presse

Jaune, premier album concept québécois, se déploie avec grandeur, finesse et audace, quelque part entre chanson orchestrale et rock théâtral.

Il ne marque pas seulement un virage dans la carrière de son auteur, mais aussi dans l’histoire de la musique québécoise, dont il demeure un jalon essentiel et une référence.

On ne le sait pas encore, mais, tout au long de sa carrière, Jean-Pierre Ferland saura rebondir de la sorte. Célébré un jour, descendu le lendemain, tour à tour nanti et au bord de la faillite, il a fait face à des vents pas toujours favorables. Il a toutefois toujours fini par s’en sortir, financièrement et artistiquement.

Durant les années 1970, dans la foulée de Jaune et de Soleil, il explore abondamment, flirtant notamment avec le rock progressif. Ses audaces artistiques ne plaisent pas à tous. Il choque même certaines oreilles sensibles en mettant le mot « fesses » dans T’es mon amour, t’es ma maîtresse, qu’il chantera en 1974 avec Ginette Reno.

PHOTO RENÉ PICARD, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Pierre Ferland au fameux spectacle de la Saint-Jean-Baptiste de 1976 sur le mont Royal, avec Claude Léveillée, Yvon Deschamps, Gilles Vigneault et Robert Charlebois

Cette dernière triomphera l’année suivante avec une autre chanson de Ferland, Un peu plus loin, lors d’un spectacle extérieur présenté sur le mont Royal. En 1976, Jean-Pierre Ferland est du fameux spectacle de la fête nationale avec Vigneault, Léveillée, Deschamps et Charlebois, qui sera donné au parc du Bois-de-Coulonge, à Québec, puis sur le mont Royal, et immortalisé sur l’album 1 fois 5.

Jean-Pierre Ferland - Figure 4
Photo La Presse
Nouvelle renaissance

Ses années 1980, elles, sont plutôt marquées par la télévision. Le chanteur, qui a déjà animé Jeunesse oblige dans les années 1960, est notamment à la barre de Station soleil, L’autobus du show-business et Ferland-Nadeau en direct. En musique, il a la main moins heureuse. On ne retient pas grand-chose de ses albums Jean-Pierre Ferland (1980) et Androgyne (1984). Son plus grand projet artistique de cette décennie, Gala, comédie musicale inspirée de la muse de Paul Éluard et de Salvador Dalí, sera un échec critique et financier en 1989. Un « affront » qu’il ne digérera jamais totalement.

Mais il a du ressort. Après Bleu, blanc, blues, bien accueilli après huit ans d’absence sur disque, il se relance en chanson trois ans plus tard, en 1995, avec Écoute pas ça, superbe disque sur lequel on retrouve ses dernières grandes chansons : l’ambitieuse chanson titre, la conviviale Envoye à maison, la fragile La musique et Une chance qu’on s’a, épique et tendre.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Pierre Ferland en 2011, lors de son retour aux Francos pour présenter son album Jaune sur scène dans son intégralité. Il est accompagné ici de Guy Latraverse, producteur qui l’a soutenu au tournant des années 1970.

En 2006, Jean-Pierre Ferland annonce son retrait de la scène, lieu où il était souvent au sommet de son art : à la fois charmeur, comique, combattif, tendre et joueur. L’artiste ne veut pas « vieillir en public », dit-il à cette époque, et offre un concert d’adieu au Centre Bell en janvier 2007. Or, comme Aznavour avant lui, il ne s’arrêtera pas vraiment : on l’a souvent revu fouler une scène (il a interprété l’intégralité de Jaune aux Francos en 2011, entre autres) et aussi à la télévision (notamment à La voix, où il est coach en 2013).

Installé depuis des décennies à Saint-Norbert, dans Lanaudière, le chanteur y a inauguré en 2018 l’Espace culturel Jean-Pierre Ferland, situé dans l’ancienne église du village. Sa transformation en salle multifonctionnelle a notamment été rendue possible par un spectacle-bénéfice offert en 2010 par l’artiste et amie de longue date Ginette Reno.

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